Lyns-Virginie Belony: enseigner l’histoire d’Haïti
- UdeMNouvelles
Le 17 janvier 2025
- Virginie Soffer
Lyns-Virginie Belony rejoint les rangs du Département d’histoire de l'UdeM à titre de professeure adjointe.
Depuis janvier, la nouvelle professeure adjointe du Département d’histoire de l’Université de Montréal Lyns-Virginie Belony donne un cours d’introduction à l’histoire des Caraïbes et, dès septembre prochain, elle prendra en charge un cours consacré cette fois à l’histoire d'Haïti. Une manière pour elle de remettre en question les clichés qui ont trop longtemps défiguré cette île et d’offrir à ses étudiants et étudiantes une compréhension plus nuancée de son histoire.
Une formation universitaire centrée sur Haïti et la solidarité noire
Née de parents haïtiens et élevée au Québec, Lyns-Virginie Belony a grandi dans un environnement où les images véhiculées par la société sur Haïti pouvaient être simplistes et décontextualisées. Cela l’a poussée à vouloir mieux comprendre l'histoire de son pays d'origine. Cette démarche amorcée dès l'adolescence l'a guidée vers des études en histoire et une spécialisation sur Haïti. Ainsi, dans son mémoire de maîtrise, intitulé L’occupation américaine d’Haïti et la réponse de la National Association for the Advancement of Colored People, elle explore la façon dont l’organisation, tout en dénonçant l’occupation américaine de l’île, à partir de 1915, critiquait également l’inaction des États-Unis face aux problèmes internes de la communauté noire américaine, notamment le lynchage.
Ce travail faisait écho à son intérêt pour la solidarité noire, en particulier durant la période de l’entre-deux-guerres, un sujet qui l’occupe encore aujourd'hui. La question de l’internationalisme noir et du panafricanisme, qu’elle examine dans ses recherches, est essentielle dans son approche des évènements historiques.
Un doctorat sur la mémoire du duvaliérisme à Montréal
Désireuse de mieux comprendre l’incidence de l’histoire haïtienne sur la diaspora, Lyns-Virginie Belony oriente ses recherches doctorales sur la mémoire du régime duvaliériste au sein de la communauté haïtienne de Montréal. Son projet de doctorat, qui se concentre sur la période de la dictature des Duvalier (1957-1986), s’intéresse plus précisément à la manière dont les Haïtiens vivant au Québec perçoivent cette période sombre de l’histoire de leur pays.
Lyns-Virginie Belony remarque que les mémoires haïtiennes à Montréal sont loin d’être homogènes. «Il n’y a pas une mémoire collective, mais plusieurs mémoires en conflit», mentionne-t-elle. D’un côté, certains dénoncent les abus et les violences du régime Duvalier, tandis que d’autres, particulièrement ceux ayant vécu sous la dictature, évoquent une époque où, malgré les difficultés, «le peuple mangeait, les enfants allaient à l’école, les voisins se respectaient». Cette multiplicité de mémoires, parfois contradictoires, fait l’objet de son analyse. Au lieu d’adopter une approche binaire – entre critiques et apologistes du duvaliérisme –, elle nuance sa position et met en lumière un troisième type de mémoire: celle des «indécis», ces hommes et ces femmes qui, tout en condamnant le régime, reconnaissent certains aspects positifs de cette période.
Ses recherches sur la mémoire collective des Haïtiens à Montréal continuent de nourrir sa réflexion, alors qu'elle s’intéresse aux conséquences des mémoires recensées sur la perception actuelle de la situation en Haïti. À travers ses travaux, elle s’interroge sur la manière dont l’histoire est reconstruite au fil du temps et des expériences personnelles.
Une approche transnationale de l’histoire des populations afrodescendantes
Lyns-Virginie Belony explore également dans ses recherches les dynamiques transnationales de l’histoire des populations afrodescendantes en se penchant sur la place centrale de la Caraïbe dans le mouvement panafricain à partir de la fin du 19e siècle. «Alors qu’en Europe un vaste appareil idéologique s’efforçait de justifier l’infériorité des personnes non blanches, le mouvement panafricain émergeait avec force, porté par des figures intellectuelles majeures de la Caraïbe, avec des territoires comme Haïti, Trinité-et-Tobago et la Jamaïque», explique-t-elle. Elle souligne l’apport de ces penseurs qui, revendiquant une origine africaine, ont redéfini les perceptions de l’identité noire. «Pour eux, être noirs n’était pas une source de honte, mais au contraire un motif de fierté», insiste-t-elle en rappelant l’importance de ces discours dans la lutte contre les préjugés raciaux et pour la valorisation des héritages culturels.
La professeure est particulièrement fascinée par la période de l’entre-deux-guerres, où certaines figures intellectuelles de la Caraïbe ont non seulement défendu une identité africaine fière, mais ont aussi flirté avec des idées politiques contradictoires, notamment le fascisme. Cette analyse lui permet de remettre en question les lectures simplistes de l’histoire politique caribéenne et de montrer les tensions idéologiques qui traversaient la communauté noire mondiale à cette époque.
Enseigner avec passion
Lyns-Virginie Belony, qui a enseigné à titre d’auxiliaire d’enseignement et de chargée de cours à l’Université de Montréal et à l’Université du Québec à Montréal, a aussi fait connaître avec passion l’histoire d’Haïti au Centre Toussaint. Elle souhaite avec ses étudiants et étudiantes «aller au-delà des images, qui sont un peu stéréotypées, un peu décontextualisées, qui sont simplistes et qui alimentent aussi une forme d'anti-haïtianisme, qui existe depuis le lendemain de la révolution haïtienne, mais qui prend de nouvelles formes et plus de force dans le débat politique depuis quelques années».