Fabriquer et préserver le Quartier chinois
- UdeMNouvelles
Le 24 janvier 2025
- Virginie Soffer
L’exposition «Fabriquer et préserver le Quartier chinois: perceptions, récits et organisation communautaire» est présentée au Carrefour des arts et des sciences jusqu’au 19 mars.
«Aujourd’hui, un Canadien sur sept est d’origine asiatique. Pourtant, on a tendance à oublier que ça fait longtemps qu'il y a une forte présence asiatique au Canada. Le chemin de fer du Canadien Pacifique, par exemple, n’aurait jamais été construit sans les travailleurs chinois», dit Dominique Caouette, directeur intérimaire du Centre d’études asiatiques de l’Université de Montréal.
L’exposition Fabriquer et préserver le Quartier chinois: perceptions, récits et organisation communautaire, qui a lieu au Carrefour des arts et des sciences de l’UdeM jusqu'au 19 mars, rend hommage à la communauté chinoise canadienne et à son histoire. Elle est commissariée par Victoria-Oana Lupașcu, professeure adjointe au Département de littératures et de langues du monde et affiliée au Centre d’études asiatiques de l’Université, et Lan «Florence» Yee, membre de la Fondation JIA, et mise en place par Parker Mah, directeur des opérations et de la programmation à la Fondation JIA. Elle regroupe pour la première fois quatre expositions qui ont précédemment été présentées au Musée canadien chinois, à la Maison du Quartier chinois et en plein air. La principale d’entre elles, intitulée Sur les traces de la loi d’exclusion, a été entièrement revisitée pour être adaptée à la réalité québécoise.
À travers de nombreuses affiches explicatives, des reproductions de documents, des photos et des vidéos, l'exposition nous fait voyager à travers l’histoire, les récits et les initiatives communautaires qui ont façonné le Quartier chinois de Montréal.
Montrer les traces de la loi d’exclusion des Chinois
«Un Chinois tente de se suicider», «Un Chinois se pend: la police perplexe devant ce suicide», «Un Chinois de la ville de St-Tite s’ouvre la gorge avec un fer rouge». À l’entrée de la salle du Carrefour des arts et des sciences, plusieurs reproductions de coupures de journaux datant de l’entre-deux-guerres témoignent des conséquences dramatiques de la Loi d’immigration chinoise, en vigueur de 1923 à 1947. Aussi connue sous le nom de «loi d’exclusion des Chinois», elle obligeait les personnes d’origine chinoise résidant au Canada à s’enregistrer et imposait des restrictions draconiennes à l’immigration, rendant pour ainsi dire impossibles les regroupements familiaux.
«Ces coupures de presse illustrent la charge émotionnelle que cette loi a infligée aux immigrants. Ils vivaient avec l’idée qu’ils ne reverraient peut-être jamais leur famille, qu’ils ne pourraient jamais les faire venir au Canada. Ils étaient condamnés à une solitude à vie, sans savoir quand cela prendrait fin», explique Parker Mah.
Un documentaire projeté met en lumière les conditions de vie de ces hommes chinois contraints de vivre seuls, séparés de leurs proches. À côté, de nombreux fac-similés de certificats administratifs permettent de découvrir l’histoire individuelle d’immigrants. Comme celle de Choy Lee, qui s’est installé à Montréal en 1917 et qui, à cause du racisme antichinois qui était omniprésent, a eu des difficultés à trouver du travail et dont la famille n’a pu être réunie en raison de Loi d’immigration chinoise.
Cette loi remplaçait une taxe d’entrée imposée aux immigrants chinois qui a permis au gouvernement canadien d’amasser 2,3 M$ de l’époque. «En 1885, les immigrants chinois devaient payer 50 $ pour entrer au Canada. Cette somme a rapidement augmenté, atteignant 100 $ en 1902, puis 1500 $ en 1903. Cela représentait un fardeau énorme, équivalant à deux ou trois années de salaire pour un travailleur d’alors, juste pour avoir le droit d’entrer au pays», raconte Parker Mah. Cette politique a entraîné une pauvreté intergénérationnelle au sein de la communauté chinoise que montre l’exposition.
Mais celle-ci fait aussi voir des histoires de réussite et de résilience, comme celles d’entreprises montréalaises emblématiques telles que Wing Lung Co. qui ont permis à des familles chinoises de s’établir au Canada en contournant la loi sur l’immigration.
Une immersion dans des associations familiales
Au centre de la pièce, de gigantesques photographies de Morris Lum permettent de s’immerger au sein d’associations familiales, un univers méconnu et rarement accessible. Ces associations claniques, créées il y a plus d’un siècle, visaient à aider les membres portant un même patronyme et originaires d’un même village lors de leur entrée au pays.
«Ces associations offraient des services sociaux essentiels à une époque où il n’y avait ni cours de français, ni aide à l’emploi, ni services bancaires, de santé ou de logement», indique Parker Mah. À leur arrivée à Montréal, les immigrants chinois, qui n’étaient pas catholiques, peinaient à trouver de l’aide dans un contexte déjà difficile. Ces associations se chargeaient de nombreuses tâches: fournir des logements partagés, créer des réseaux de prêts informels pour soutenir l’entrepreneuriat, organiser des cérémonies religieuses, rédiger des lettres ou encore rapporter les cendres des défunts dans leur village natal. Ces associations jouaient aussi un rôle politique important, permettant d’augmenter la visibilité et la légitimité de la communauté chinoise.
Aujourd’hui, ces associations servent surtout de lieux de rencontre pour la communauté chinoise. Des lieux où tradition et modernité cohabitent. «On trouve des salles de réunion avec des références aux ancêtres et d’autres endroits encore gérés par les membres du clan», ajoute Parker Mah.
Fabriquées au Quartier chinois
Sur un vaste mur, 22 affiches racontent l’histoire de personnes «fabriquées au Quartier chinois» plutôt que made in China, un jeu de mots qui donne son titre à l’exposition. Initialement présentée dans son intégralité dans le Quartier chinois, elle dévoile pour la première fois dans un espace intérieur les visages et les récits des habitants qui y vivent.
Monita, Victor, Esther, Marion, Jean-Philippe… Tous résident dans le Quartier chinois de Montréal. Certains sont d’origine chinoise, tandis que d’autres sont autochtones, cambodgiens ou issus d’autres horizons. Photographiés par Ruixin Tian et Chris Lau, ils partagent la signification unique que ce lieu revêt pour eux. Léa, par exemple, décrit le Quartier comme «un lieu en ébullition, d’où émanent une longue histoire et un esprit de famille qui se révèlent et se tissent au rythme de [son] engagement avec les gens du Quartier». De son côté, Esther, arrivée à Montréal en 2018 comme étudiante, témoigne: «J’ai trouvé ma communauté au Quartier chinois. Quand je suis arrivée à Montréal en 2018 en tant qu’étudiante internationale, la ville me semblait à la fois étrangère et pleine de possibilités.»
Présenter la Maison du Quartier chinois
Un dernier mur de l’exposition donne à voir la toute nouvelle Maison du Quartier chinois, un projet lancé par la Fondation JIA en septembre 2023. Ce lieu, géré par la communauté chinoise, vise à favoriser la création d’expositions et l’organisation d’activités culturelles. Ainsi, plusieurs initiatives intergénérationnelles ont été mises en place pour inciter les aînés de la communauté à s’intéresser aux questions auxquelles ils sont confrontés.
«La communauté chinoise est présente au Québec, et particulièrement à Montréal, depuis longtemps. Son histoire et sa culture font partie intégrante de celles du Québec, même si elles sont souvent perçues comme relevant uniquement de la communauté chinoise. Pourtant, elles méritent une véritable mise en valeur dans le paysage historique québécois. Le Quartier chinois, l’un des plus anciens de la ville, n’est pas valorisé comme d’autres lieux emblématiques tel le Vieux-Port. La Maison du Quartier chinois a pour mission de reconnaître l’apport culturel du Quartier, célébrer la résilience de la communauté face aux obstacles et discriminations et mettre en lumière les stratégies ingénieuses qu’elle a élaborées pour survivre et prospérer», conclut Parker Mah.
Informations pratiques
L’exposition Fabriquer et préserver le Quartier chinois: perceptions, récits et organisation communautaire se tient au Carrefour des arts et des sciences du pavillon Lionel-Groulx, 3150, rue Jean-Brillant, salle C-208, jusqu’au 19 mars.
Une exposition complémentaire intitulée Connaissez-vous votre Quartier chinois?, organisée par le Centre des mémoires montréalaises, se tiendra en parallèle à la Bibliothèque des lettres et sciences humaines (BLSH) jusqu’en mars. Aussi, quelques films rares et anciens témoins de la vie chinoise au Québec, réunis par le bibliothécaire en études asiatiques Nino Gabrielli et la professeure Victoria-Oana Lupașcu, seront projetés dans l’atrium de la Bibliothèque. Un de ces films exceptionnels, tiré des collections du chercheur Louis Pelletier et restauré par ses soins au laboratoire CinéMédias de l’UdeM, montre un défilé en 1928 de la communauté chinoise de Montréal, témoignant ainsi de la présence et de la vitalité de la culture chinoise au Québec dans le temps long.
La BLSH organise également un ciné-club étudiant avec des projections de films chinois sous-titrés en français, tous les mercredis, une semaine sur deux, jusqu'au mois d'avril. Les projections seront annoncées progressivement sur les réseaux sociaux du Centre d’études asiatiques.