Les couples LGBTQ+ et la procréation assistée: un tracé sinueux
«C’est comme si ces personnes devaient constamment ressortir du placard, c’est difficile», dit Zoé Benoit, qui termine son doctorat en recherche et en intervention à l’Université de Montréal sur les couples LGBTQ+ qui décident d’avoir un enfant par procréation médicalement assistée (PMA). Formulaires mal adaptés, questions indiscrètes des proches, tests médicaux superflus: ces couples se heurtent à des barrières différentes de celles que doivent surmonter les couples hétérosexuels. «Des participantes ont même rapporté s’être fait demander si elles étaient sœurs!» poursuit la doctorante.
Celle qui voulait travailler sur un projet ayant une portée sociale s’est ainsi penchée dans son doctorat sur le désir des couples LGBTQ+ de devenir parents. La première partie de ses résultats a été publiée dans le Canadian Journal of Human Sexuality.
Parcours dans le parcours
Les travaux de Zoé Benoit s’insèrent dans le projet Parcours, une large étude sur le couple et l’infertilité menée par la professeure de psychologie et directrice du Laboratoire d’étude du couple de l'UdeM Katherine Péloquin. Cette vaste étude vise à relater l’expérience de 345 couples du Canada et des États-Unis durant deux ans. Les deux partenaires remplissent un questionnaire en ligne tous les six mois, dès le début de leurs démarches de procréation médicalement assistée.
Si d’autres études qualitatives ou plus pointues ont déjà été réalisées sur le sujet, «nous sommes, à notre connaissance, la première étude quantitative et longitudinale chez les couples LGBTQ+ qui ont recours à la PMA. Nous n’avions pas de vision globale de leur expérience en clinique de fertilité», estime Katherine Péloquin. L’étude veut, entre autres, relever les difficultés psychologiques, relationnelles et sexuelles et explorer les différences et les similitudes entre les expériences des couples cisgenres hétérosexuels consultant un médecin en raison d’une infertilité médicale et les couples LGBTQ+ en processus de PMA.
Étude exploratoire
Zoé Benoit s’est donc vu attribuer le volet sur les couples LGBTQ+. Elle a, en premier lieu, procédé à une analyse qualitative des questions ouvertes auxquelles les sujets ont répondu. En effet, comme les mesures pour la qualité de vie en contexte de PMA ont été élaborées pour les couples hétérosexuels et cisgenres, l’équipe a également inclus des questions ouvertes pour comprendre la réalité des couples LGBTQ+.
Ces questions ont permis de mettre en lumière les effets du processus sur les différentes sphères de la vie des 58 couples canadiens de l’échantillon. Grâce au travail de Zoé Benoit et de sa collègue à la maîtrise Mathilde Renaud, de nouveaux thèmes, dont certains peu répertoriés auparavant dans la littérature, ont émergé. «C’était assez surprenant», confie Zoé Benoit.
Des émotions communes, des chemins différents
Les démarches de procréation assistée restent difficiles, peu importe l’orientation sexuelle des personnes. Ainsi, les émotions liées à l’infertilité, qu’elle soit biologique ou sociale, restent les mêmes: sentiment d’impuissance, stress, anxiété. «Il n’y a pas de différence entre les deux populations, mais ce ne sont peut-être pas les mêmes raisons qui mènent à ces sentiments. C’est ce que notre volet qualitatif permet de voir», soulève Katherine Péloquin.
Dans les parcours des couples LGBTQ+, les chercheuses notent un certain nombre de préconceptions, chez le personnel médical comme chez la famille et les proches. «On présume que les femmes vivent une infertilité médicale et l’on prescrit des tests qui ne sont pas toujours nécessaires», illustre Katherine Péloquin. Effectivement, dans le cas des couples LGBTQ+, on parle le plus souvent d’une infertilité sociale, la PMA étant la principale voie pour avoir des enfants. Or, même si de 20 à 30 % de la clientèle des cliniques de PMA sont constitués de couples LGBTQ+, les attentes restent hétéronormatives, par exemple dans les formulaires, où l’on doit entrer le nom du père.
Les chercheuses expliquent par ailleurs que l’infertilité biologique et l’infertilité sociale ne sont pas mutuellement exclusives. Et lorsque, dans le couple lesbien, la partenaire qui souhaite porter l’enfant ne peut pas le faire à cause d’une infertilité médicale, le personnel médical peut parfois présumer, à tort, que l’autre partenaire portera nécessairement l’enfant. «Il arrive qu’on agisse comme si les deux utérus étaient interchangeables, il y a parfois un manque de tact et de sensibilité», affirme Katherine Péloquin.
Du côté de l’entourage, les participants et participantes rapportent aussi des idées préconçues et des questions embarrassantes: «On va leur demander qui est le donneur ou l’appeler “le père”», indique Zoé Benoit.
Donner une voix
Alors que les documents et les informations sur la PMA ne sont souvent pas adaptés aux personnes LGBTQ+, cette étude souhaite leur donner une voix. «Il n’y a pas de chemin clair de traitement», mentionne Zoé Benoit. Elle espère que ces recherches aideront à normaliser ces parcours autant sur le plan social que dans les cliniques. La professeure Péloquin aimerait de plus produire du matériel d’information destiné à cette population pour que ces couples se reconnaissent davantage, de même que du matériel de formation afin que le personnel puisse mieux les encadrer et les soutenir.
Parce que même si les choses ont tout de même évolué dans les 10 dernières années, le personnel médical manque encore de formation par rapport aux réalités propres de la clientèle LGBTQ+. «Les médecins nous disent que oui, ça s’est amélioré. Malgré tout, le vécu demeure sensible et il y a des inégalités. Il reste du travail à faire», nuance Katherine Péloquin.