Système de libération conditionnelle au Québec: la gestion du risque se fait au détriment de la réhabilitation
- UdeMNouvelles
Le 23 avril 2025
- Martin LaSalle
Le système de libération conditionnelle québécois exclut de nombreux prisonniers en raison de pratiques axées sur une gestion du risque qui conduit souvent à la prudence excessive, dit Chloé Leclerc.
Conçu pour faciliter la réinsertion des détenus dans la société tout en équilibrant les impératifs de sécurité publique, le système de libération conditionnelle au Québec exclut de nombreux prisonniers en raison de pratiques axées sur une gestion du risque «qui conduit souvent à la prudence excessive au détriment de la réinsertion».
C’est ce qu’affirme la professeure Chloé Leclerc, de l’École de criminologie de l’Université de Montréal, dans une étude qui vient de paraître dans la revue Current Issues in Criminal Justice et qu’elle signe avec ses collègues Maude Boucher-Réhel, Roxane Perrin-Plouffe, Marion Vacheret et Marianne Quirouette.
Le projet de recherche, réalisé par le consortium Accès au droit et à la justice, a mis en lumière que près d’un détenu sur deux renonce à son audience de libération conditionnelle et que cette renonciation est deux fois plus élevée chez les Autochtones, souvent découragés par l’impression que leurs demandes seront systématiquement refusées.
«Outre cette crainte de se voir refuser leur libération, plusieurs sont pressés de retourner auprès de leur famille, mais les exigences de la libération conditionnelle ne le permettent souvent pas», déplore Chloé Leclerc.
Ce décalage entre perception et réalité découle, selon elle, de la difficulté des acteurs du système de libération conditionnelle à s’adapter aux réalités des populations marginalisées.
«Par exemple, les Autochtones sont dans la majorité des cas contraints de passer par des maisons de transition éloignées de leur communauté, ce qui complique leur réinsertion, explique la professeure. Pour eux, le dilemme est grand entre la possibilité de sortir plus tôt en étant éloignés de leur famille et de leur culture ou purger les deux tiers de leur peine pour retourner dans leur communauté.»
Une approche mixte pour comprendre les dynamiques du système
Plus largement, l’équipe de recherche a adopté une approche combinant des données qualitatives et quantitatives en menant 80 entretiens semi-structurés avec des acteurs clés du système, soit 30 agents correctionnels, 18 travailleurs de maisons de transition, 33 personnes emprisonnées et 11 membres de la Commission québécoise des libérations conditionnelles.
Ces entretiens ont été complétés par 67 jours d’observation dans quatre établissements carcéraux, où une étudiante chercheuse a assisté à des réunions entre des agents correctionnels et des personnes détenues afin de comprendre les interactions quotidiennes et le processus de libération ainsi que les défis qui l’entourent.
Sur le plan quantitatif, une base de données portant sur 3161 personnes admissibles à la libération conditionnelle, entre 2014 et 2015, a été examinée.
«Nous avons analysé les scores de risque, les recommandations des agents correctionnels et les décisions sans appel de la Commission et cette méthodologie nous a permis de croiser les perspectives des différents acteurs et de mettre au jour les divergences dans leurs perceptions du risque», mentionne Chloé Leclerc.
Par exemple, l’étude a révélé que 90 % des détenus recommandés pour la libération conditionnelle sont à faible risque de récidive, tandis que 65 % de ceux qui y renoncent sont à haut risque. «Ces chiffres montrent clairement que le système favorise les cas les moins complexes, au détriment des personnes incarcérées qui auraient le plus besoin de soutien», note la chercheuse.
Des perceptions du risque qui varient selon les acteurs
L’étude indique que chaque acteur du système de libération conditionnelle interprète le risque à travers son propre prisme, ce qui rehausse considérablement les exigences pour accorder une libération conditionnelle. Pour les agents correctionnels, le risque est étroitement lié aux besoins criminogènes du détenu, évalués à l’aide d’outils comme le Level of Service/Case Management Inventory (LS/CMI).
«Ils accordent beaucoup d’importance à l’effort de la personne emprisonnée, notamment sa capacité à reconnaître ses fautes et à accepter l’aide proposée, dit Chloé Leclerc. Ainsi, un agent correctionnel a déclaré au cours d’un entretien: “Il n’était pas prêt à reconnaître à quel point sa déviance est ancrée et qu’elle le domine et ça, c’est effrayant.”»
Les travailleurs de maisons de transition, quant à eux, sont surtout préoccupés par le risque que représente un nouveau résident pour les autres occupants et pour le personnel.
Du côté des personnes incarcérées, le risque est souvent perçu comme la probabilité de violer les conditions de libération, ce qui entraînerait un retour en prison.
«Les conditions sont parfois si strictes et inadaptées que les personnes emprisonnées préfèrent renoncer à la libération conditionnelle», souligne Chloé Leclerc en donnant l’exemple des exigences à respecter, comme ne pas boire d’alcool ou ne pas fréquenter une personne avec un casier judiciaire, «qui sont des conditions souvent basées sur des normes sociales dominantes qui désavantagent les individus marginalisés».
Enfin, les membres de la Commission québécoise des libérations conditionnelles évaluent le risque en termes de protection de la société en se basant sur la probabilité de récidive et la gravité de l’infraction en fonction des neuf critères de l’article 155 de la Loi sur le système correctionnel du Québec.
Des outils d’évaluation inadaptés
Un autre problème majeur soulevé par l’étude est l’inadéquation des outils d’évaluation du risque pour certaines populations.
«Les outils comme le LS/CMI fonctionnent bien avec les hommes blancs, mais ils sont moins efficaces pour les femmes, les Autochtones et les personnes racisées, note Chloé Leclerc. Par exemple, chez les femmes, la précarité financière est souvent le moteur de la délinquance, un facteur que les outils actuels ne prennent pas suffisamment en compte.»
Pour les gens issus des communautés autochtones, la situation serait encore plus critique.
«Les preuves de l’efficacité des outils actuels pour cette population ne sont pas là, déplore-t-elle. Il faut revoir ces outils pour tenir compte des réalités qui lui sont propres.»
De plus, les données sur les personnes racisées sont quasi inexistantes, ce qui rend difficile l’adaptation des outils à leurs besoins.
«Aux États-Unis, on sait que les populations noires sont surveillées de très près et donc plus judiciarisées et, comme l’outil accorde un poids important aux antécédents, on doit réfléchir à la possibilité qu’il introduise du racisme systémique. Ici aussi, il y a des problèmes similaires, mais on manque de données pour les attester», ajoute la professeure.
Pour une réforme axée sur la réhabilitation
Devant ces constats, l’étude propose plusieurs pistes pour améliorer le système de libération conditionnelle, notamment une réorientation des évaluations du risque vers une gestion à long terme, plutôt que de se focaliser uniquement sur la probabilité de récidive pendant la remise en liberté sous condition.
«Par exemple, au lieu de se demander si une personne emprisonnée va récidiver dans les prochains mois, il faudrait se demander comment l’aider à briser son cycle de délinquance à long terme», illustre celle qui est aussi directrice du Centre international de criminologie comparée de l’UdeM.
La réduction de la renonciation à la libération conditionnelle passe, quant à elle, par un assouplissement des conditions de libération et leur adaptation aux réalités des individus marginalisés.
Enfin, les auteures de l’étude suggèrent de repenser les violations des conditions comme des occasions de soutien plutôt que des échecs. À cet égard, elles recommandent la mise sur pied d’un programme de retour d’expérience structuré qui contribuerait à cibler les défis rencontrés durant la libération conditionnelle et à améliorer les services d’aide.
«Le système de libération conditionnelle doit devenir un véritable outil de réinsertion et non être une simple mesure de gestion du risque et, pour y parvenir, il faudra une volonté politique et des ressources supplémentaires, mais les avantages pour la société pourraient être considérables, conclut Chloé Leclerc. En aidant les personnes incarcérées à se réinsérer avec succès, non seulement on réduit la récidive, mais on contribue aussi à créer et maintenir des communautés plus sûres et plus inclusives.»
À propos de cette étude
L’article «Risk of what? Risk to whom? The realities of parole practices», par Chloé Leclerc, Maude Boucher-Réhel, Roxane Perrin-Plouffe, Marion Vacheret et Marianne Quirouette, a été publié en mars dans la revue Current Issues in Criminal Justice.