Un parc pour la biodiversité

En haut: Don Juan, Ingrid Hall et Dona Ventura; quelques cultivars andins. En bas: Pulpe violette d'un cultivar andin; quelques cultivars andins.

En haut: Don Juan, Ingrid Hall et Dona Ventura; quelques cultivars andins. En bas: Pulpe violette d'un cultivar andin; quelques cultivars andins.

Crédit : Marco Otárola

En 5 secondes

La professeure d’anthropologie Ingrid Hall s’intéresse au travail de conservation de variétés ancestrales de pommes de terre à Cuzco, au Pérou.

Ingrid Hall sur le terrain

Ingrid Hall sur le terrain

Crédit : Marco Otárola

«Je suis arrivée au Pérou à la fin des années 1990», dit Ingrid Hall, professeure au Département d’anthropologie de l’Université de Montréal. À l’époque, la jeune étudiante en agronomie rêvait de faire de l’anthropologie. 

Ce n’est donc pas un hasard si elle s’est intéressée au Parque de la papa, ou parc de la Pomme de terre, dans la région de Cuzco, voué à la conservation de ce tubercule. «Du point de vue anthropologique, il se jouait quelque chose de très particulier autour de la valorisation de la culture de la pomme de terre, sur les plans culturel comme agricole», se souvient-elle.

Pour ces recherches sur le Parque de la papa, qui se sont poursuivies depuis toutes ces années, elle a reçu plusieurs subventions: deux du Fonds de recherche du Québec, une du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et une autre via un projet de l’Agence nationale de la recherche en France. Même si le financement est terminé, Ingrid Hall retournera au Pérou cet été pour boucler la boucle… et ouvrir une autre porte.

Un parc pas comme les autres

Le paysage du Parque de la papa à Pampallacta

Le paysage du Parque de la papa à Pampallacta

Crédit : Marco Otárola

Le Parque de la papa, qui fête ses 30 ans, est une zone d’agrobiodiversité de la pomme de terre désormais reconnue par le gouvernement péruvien. Elle est gérée par six communautés des Andes péruviennes et soutenue par l’Association pour la nature et le développement durable (ANDES), une organisation non gouvernementale péruvienne. «Ce n’est pas un parc avec une conservation sous cloche, on y travaille plutôt à conserver cette biodiversité avec les populations locales qui ont contribué à la sélection et à la préservation des cultivars», observe Ingrid Hall. On y maintient plus de 1250 cultivars andins de pommes de terre sur 12 000 hectares.

Depuis plusieurs années, l’anthropologue se penche sur le travail de ces paysans: «Je me suis intéressée aux pratiques de conservation et aux logiques qui leur donnaient un sens», résume-t-elle. Plusieurs publications scientifiques sur le sujet ont vu le jour, mais la professeure prépare une monographie. Ce prochain mois de terrain lui permettra d’aller chercher du matériel supplémentaire pour ce futur ouvrage.

Des logiques différentes

Don Juan et Dona Ventura à Pampallacta

Don Juan et Dona Ventura à Pampallacta

Crédit : Marco Otárola

«Je retourne auprès des paysans pour mieux rendre compte de certains aspects de la production de la pomme de terre. Jusqu’à présent, je m’étais concentrée sur les questions de production de pommes de terre “natives”, mais il y a aussi tout un autre commerce de pommes de terre qui est à part. Pour l’ouvrage, il me faut mieux contextualiser la production de pommes de terre commerciales», explique-t-elle. En effet, la culture de la pomme de terre dans cette région des Andes se divise en deux catégories, qui ont leurs propres logiques relatives à la production, aux variétés et aux conditions de culture. 

D’un côté, les variétés ancestrales ou paysannes, qui n’ont pas été améliorées par l’industrie, sont cultivées à très haute altitude (3800-4000 m) pour nourrir les familles. «Ce sont des variétés de pommes de terre qui sont méconnues à l’extérieur des communautés qui les cultivent. Il faut les connaître pour savoir comment les cuire et les préparer», remarque Ingrid Hall. 

De l’autre, les variétés commerciales, qu’on fait pousser dans les champs «plus bas» (à environ 3600 m d’altitude). Ces variétés trouvent davantage de débouchés sur le marché et leur vente apporte un revenu d’appoint aux cultivateurs. 

«Celles qui sont en haut, il faut en prendre soin. Il y a un ensemble de façons de concevoir les relations avec les pommes de terre marqué par de l’affection, du respect. En bas, ce n’est pas cette logique qui prévaut», indique-t-elle.

Ingrid Hall sondera par ailleurs le point de vue des femmes. Elle s’est jusqu’à maintenant intéressée au discours d’ANDES, qui reprend les conceptions locales – essentiellement le point de vue des hommes. «Je m’étais davantage arrêtée à la construction du discours dans une perspective politique. Mais pour mon livre, je souhaite aller un peu plus loin», précise-t-elle.

Contribuer au passage des connaissances

Un livre de contes et de récits en quechua sur la pomme de terre a été tiré des ateliers menés avec les aînés

Un livre de contes et de récits en quechua sur la pomme de terre a été tiré des ateliers menés avec les aînés

Crédit : Marco Otárola

Avec le vieillissement des agriculteurs et la scolarisation de plus en plus grande de leurs enfants, la région fait face à une rupture dans la transmission des savoirs. Le séjour d’Ingrid Hall dans la région permettra également de présenter le fruit d’échanges avec les porteurs de savoir locaux. Pour favoriser la transmission d’une partie de ces connaissances, des ateliers dans les écoles ont été organisés avec des aînés porteurs de savoir. Un petit livre de contes et de récits en quechua sur la pomme de terre a été tiré de ces ateliers.

La professeure profitera de son passage pour remettre et présenter officiellement le livre fraîchement imprimé aux communautés locales et aux autorités du parc. «Je vais discuter avec elles pour voir ce qu’elles aimeraient en faire. Ça pourrait par exemple être utilisé pour des projets d’éducation interculturelle bilingue», suggère-t-elle.

Entamer un nouveau projet

Le séjour d’Ingrid Hall servira finalement à poser les bases de ses prochains travaux de recherche dans la région. La professeure, qui vient tout juste d’amorcer une année sabbatique, continuera d’explorer d’autres thèmes en lien avec l’agriculture. 

Elle souhaite ainsi faire une comparaison entre l’agroécologie au Pérou et celle au Québec. La réalité du Québec est en effet complètement différente de celle du Pérou. Alors qu’au Québec l’agroécologie est portée par une jeune génération de néoruraux, l’agroécologie péruvienne est pratiquée par des paysans de génération en génération. «Il y a à la fois des convergences et de grandes différences; je voudrais les analyser sur le plan de la citoyenneté écologique», mentionne-t-elle. Elle ira à la rencontre de paysans engagés dans des projets agroécologiques, notamment à Chinchero. «J’ai toujours travaillé auprès de paysans; je veux les accompagner dans leur processus de visibilisation et de reconnaissance», souligne-t-elle.