L’épilepsie touche environ un pour cent de la population mondiale, ce qui en fait la maladie neurologique chronique la plus répandue. Elle se manifeste par des crises d’intensité très variable. Certaines passent presque inaperçues, tandis que d’autres, plus spectaculaires, se caractérisent par des convulsions et une perte de conscience.
Ces crises résultent d’une décharge électrique excessive dans le cerveau, un «orage neuronal» qui peut, dans les cas les plus graves, perturber la respiration et entraîner une mort subite. Outre ce risque, fréquentes sont les blessures – voire les fractures – causées par les chutes lors des crises.
Les médicaments anticrises constituent la première ligne de traitement. Mais ils sont efficaces chez seulement deux tiers des personnes atteintes. Dans certains cas précis, une chirurgie peut être envisagée pour retirer la zone du cerveau responsable des crises, mais cette option ne s’applique qu’à un nombre limité de patients. Pour les autres, les crises persistent malgré tous les traitements disponibles.
C’est pourquoi la recherche explore désormais d’autres avenues: détecter ou même prédire les crises d’épilepsie pour éviter les blessures collatérales.
C’est un des thèmes des programmes de recherche du Dr Dang Khoa Nguyen et d’Élie Bou Assi, tous deux professeurs au Département de neurosciences de l’Université de Montréal et chercheurs au Centre de recherche du CHUM.
Des objets connectés pour alerter
«Détecter une crise, c’est reconnaître qu’elle est en train de se produire, un peu comme ouvrir un parapluie pendant qu’il pleut. Prédire une crise, c’est anticiper son arrivée, comme savoir qu’il va pleuvoir et sortir avec un parapluie», illustre le Dr Nguyen, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en épilepsie et en anatomie fonctionnelle du cerveau.
La prédiction demeure donc un défi scientifique complexe. Toutefois, la détection en temps réel est du domaine du possible grâce à certains objets connectés munis de capteurs physiologiques. Montres, matelas, vêtements: plusieurs dispositifs sont aujourd’hui testés en laboratoire pour mesurer de manière continue et non invasive la respiration, l’activité cardiaque et les mouvements.
Le Dr Nguyen et Élie Bou Assi se sont récemment penchés sur un teeshirt intelligent créé à Montréal. Conçu à l’origine pour les athlètes, ce vêtement intègre des bandes respiratoires, des électrodes sèches pour mesurer l’activité électrique du cœur (électrocardiogramme) et un accéléromètre pour détecter les mouvements.
Combinées, ces données permettent de repérer les manifestations cliniques typiques d’une convulsion, soit des tremblements des membres, un affolement du rythme cardiaque et des anomalies respiratoires. Puis, quand une convulsion est détectée, le dispositif envoie automatiquement une alerte à un proche ou un professionnel de la santé afin que la personne en crise puisse recevoir de l’aide rapidement.
Selon les résultats des professeurs, ce chandail parvient assez bien à distinguer les signaux d’une convulsion avec un taux respectable de fausses alarmes engendrées par des gestes rythmiques et intenses.
«Dans nos essais, nous avions environ une fausse alarme tous les deux jours, mais nous avons réussi à réduire cette proportion de moitié, notamment en entraînant davantage nos algorithmes à reconnaître les crises», explique Élie Bou Assi.
Restera ensuite à tester le dispositif à l’extérieur de l’hôpital, dans des conditions réelles.
Des applications qui apaiseraient au quotidien
À terme, cette technologie pourrait améliorer la qualité de vie et la sécurité des familles, estime le Dr Nguyen. Des parents d’enfants épileptiques pourraient enfin dormir dans leur propre chambre, sans craindre qu’une crise survienne en leur absence. Des conjoints pourraient reprendre une vie plus autonome. Des proches aidants de personnes âgées pourraient être alertés instantanément, évitant que ces dernières restent clouées au sol plusieurs heures à la suite de convulsions.
Les scientifiques se projettent même au-delà de l’épilepsie. À leurs yeux, ce type de dispositif pourrait également servir au suivi des arythmies cardiaques, à la détection des apnées du sommeil ou à la surveillance continue en milieu hospitalier. Ils imaginent même la chemise d’hôpital du futur, capable de transmettre en temps réel des données sur la santé des patients sans fil encombrant.
Une pièce de vêtement qui, demain, pourrait littéralement sauver des vies.