Où est rendue l’intelligence artificielle en pharmacie?

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L’IA promet d’aider les professionnels de la santé dans de nombreux aspects de la pharmacothérapie. Mais pour que ces applications se matérialisent, la route est encore pavée de défis. Survol.

Jean-François Bussières, professeur titulaire de clinique à la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal et directeur de l’Unité de recherche en pratique pharmaceutique du CHU Sainte-Justine (CHUSJ

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Détection des interactions médicamenteuses potentielles, développement de nouveaux médicaments, prédiction de la réponse aux traitements, gestion des doses: la liste des avantages potentiels de l’intelligence artificielle (IA) en pharmacothérapie semble longue et prometteuse.

Évidemment, peut-on se dire. L’IA est une bête friande de données et le domaine pharmaceutique a de quoi la rassasier. Pensons seulement à l’informatisation de toutes les ordonnances des patients depuis quelques décennies, sachant qu’une pharmacie d’officine ou d’établissement de santé peut traiter de 500 à 1500 ordonnances par jour.

Ces importantes bases de données incarnent donc une réelle occasion de développer des modèles d’apprentissage automatique qui permettraient de prédire tantôt une cible thérapeutique, tantôt le risque de développer un effet indésirable.

Or, au Québec, s’il y a déjà des initiatives en cours pour utiliser l’intelligence artificielle dans le domaine de la pharmacothérapie — comme Valence Discovery, une jeune pousse issue de l’Institut québécois d’intelligence artificielle (Mila) —, elles restent relativement limitées.

«Le recours à l’IA en pharmacie est émergent et il est encore trop tôt pour déterminer les domaines où les retombées seront plus intéressantes pour la pratique pharmaceutique», note Jean-François Bussières, professeur titulaire de clinique à la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal et directeur de l’Unité de recherche en pratique pharmaceutique du CHU Sainte-Justine (CHUSJ).

De nombreuses avenues potentielles

Jean-François Bussières et ses collègues ont récemment mené une revue narrative visant à évaluer la faisabilité et les effets de l’intelligence artificielle en pharmacie. L’équipe de recherche, dont fait notamment partie le pharmacien en informatique clinique Maxime Thibault, a également développé un modèle d’apprentissage automatique à partir des ordonnances de médicaments du CHUSJ durant une décennie. Les chercheurs ont aussi créé un blogue qui utilise l’IA pour catégoriser et sélectionner des articles publiés sur les rôles et les retombées du pharmacien.

Au fil de leurs démarches, les membres de l’équipe ont d’abord constaté que certains articles scientifiques vantaient l’utilisation de l’IA en pharmacie, mais qu’il s’agissait plutôt d’outils informatisés d’aide à la décision.

Ensuite, leur revue de littérature révèle que l’utilisation de l’IA pour la prise en charge des maladies chroniques semble être un thème récurrent en pharmacie, parce que ces conditions répandues accaparent une part importante des ressources humaines, matérielles et financières dans le secteur de la santé. Pour ces maladies, l’intelligence artificielle pourrait servir à «prédire les médicaments, les tests de laboratoire et les suivis pertinents à effectuer afin de réduire les risques de morbidité, de réhospitalisation et de mortalité», indique l’étude.

Jean-François Bussières ajoute que la pharmacogénomique est aussi une voie d’avenir pour l’IA, bien que peu étudiée au Québec. Cette science utilise les renseignements génétiques pour prévoir la réponse à un traitement ou le dosage optimal, dans une optique de médecine personnalisée et préventive.

«En imaginant qu’on puisse recueillir le génotype de tous les êtres humains à leur naissance pour avoir une énorme base de données, on pourrait ensuite parvenir à dire que tel profil génétique est plus susceptible de développer telle maladie ou de bien répondre à tel traitement. On améliore alors significativement la réponse aux traitements, voire l’espérance de vie», souligne-t-il.

Toutefois, M. Bussières tient à mentionner que l’analyse génétique ne restera jamais la seule méthode utilisée pour déterminer un traitement, que la décision définitive devra toujours être prise par les équipes de soins en collaboration avec les patients.

Malgré tout, le futur est maintenant

Si l’utilisation de l’intelligence artificielle en pharmacie en est encore à ses balbutiements, il reste important de s’y intéresser aujourd’hui, plaide Jean-François Bussières. Selon le pharmacien, c’est maintenant qu’il faut la comprendre et, surtout, enseigner ses rouages.

Ayant été chef du Département de pharmacie au CHU Sainte-Justine de 1996 à 2022, il déplore le fait que le fonctionnement des bases de données n’est pas inclus dans les programmes de premier et de deuxième cycle en pharmacie.

«C’est une grande lacune, croit-il. En pharmacie, tous les logiciels que nous utilisons sont des bases de données, les étudiants devraient au minimum avoir une idée des concepts de base de ces outils. Quand on ne sait pas comment une structure fonctionne, on devient plus à risque de l’utiliser inadéquatement, et on ne possède pas les ressources pour l’améliorer en cas de défaillance.»

Il ajoute que la compréhension des volets éthique et juridique de l’IA est tout aussi importante, qu’il faut pouvoir analyser avec un esprit critique une solution générée par ordinateur.

En fin de compte, l’intégration de l’intelligence artificielle dans la pratique de la pharmacothérapie au Québec nécessitera une collaboration étroite entre les professionnels de la santé, les chercheurs et les développeurs de technologies de l’IA, ainsi qu’un engagement continu en matière de formation et de développement de nouvelles compétences.

Les grandes conférences de la Faculté de pharmacie

Le thème de l’intelligence artificielle au service de la pharmacothérapie a été abordé lors de la dernière grande conférence du centenaire de la Faculté de pharmacie, à laquelle a participé le professeur Jean-François Bussières.

Ces conférences d’envergure rassemblent, autour d’enjeux d’actualité, des experts universitaires, des décideurs et des professionnels dans les secteurs de la santé, des sciences pharmaceutiques et des sciences de la vie.