De moins en moins de différences notées entre les autistes et l’ensemble de la population

Selon une équipe de chercheurs de l'UdeM, il y aurait une diminution constante de la différence entre les personnes dont l’autisme a été diagnostiqué et le reste de la population.

Selon une équipe de chercheurs de l'UdeM, il y aurait une diminution constante de la différence entre les personnes dont l’autisme a été diagnostiqué et le reste de la population.

Crédit : Getty

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Si la tendance se maintient dans les pratiques diagnostiques, nous risquons de «perdre le signal» de l’autisme, craint Laurent Mottron, professeur au Département de psychiatrie et d’addictologie.

Le nombre de diagnostics d’autisme est en nette progression partout dans le monde. Aux États-Unis, la prévalence de ce trouble du développement serait passée, entre 1966 et aujourd’hui, de 0,05 % à plus de 2 %. Au Québec, le taux déclaré approche les 2 %. Une publication de la Direction de santé publique conclut même à une augmentation de 24 % par année depuis l’an 2000 en Montérégie!

Le Dr Laurent Mottron, professeur au Département de psychiatrie et d’addictologie de l’Université de Montréal et psychiatre à l'Hôpital en santé mentale Rivière-des-Prairies du CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal, apporte toutefois un sérieux bémol à ces données. Selon les méta-analyses que son équipe de chercheurs a étudiées, ces chiffres illustrent plutôt une diminution constante de la différence entre les personnes dont l’autisme a été diagnostiqué et le reste de la population.

L’étude du Dr Mottron et de ses collaborateurs est publiée dans le numéro du 21 août de la revue JAMA Psychiatry, la plus prestigieuse publication dans le domaine psychiatrique. Considérant l’importance des résultats, le rédacteur en chef y consacre son éditorial.

Diminution des différences observées

Laurent Mottron

Crédit : Christian Fleury

Avec sa stagiaire Eya-Mist Rødgaard, de l’Université de Copenhague, et quatre autres chercheurs de France, du Danemark et de Montréal, le professeur a passé en revue les données de 11 méta-analyses publiées entre 1966 et 2019 et portant sur près de 23 000 autistes. Les méta-analyses retenues montraient une différence significative entre autistes et non-autistes dans sept domaines: reconnaissance des émotions, théorie de l’esprit (attribution d’intention aux autres), flexibilité cognitive (passage d’une tâche à une autre), planification de l’action, inhibition, potentiels évoqués (réponses du système nerveux à une stimulation sensorielle) et volume de matière grise cérébrale. Ces mesures regroupent donc l’essentiel des composantes psychologiques et neurologiques de l’autisme.

Cette étude visait à comparer «la taille de l’effet», c’est-à-dire la mesure des différences observées entre autistes et non-autistes, selon les années de publication des données incluses dans les méta-analyses. Cette mesure est un outil statistique permettant d’évaluer l’importance de la différence entre deux groupes de sujets pour un élément particulier.

L’analyse montre que, au cours des 50 dernières années, l’importance de la différence entre autistes et non-autistes a diminué pour tous les domaines retenus. Cinq de ces sept domaines présentent une dilution statistiquement significative de la taille de l’effet dans des proportions allant de 45 % à 80 %. Les deux seules mesures où la diminution n’est pas significative sont celles relatives à l’inhibition et à la flexibilité cognitive.

«Cela signifie que les autistes et les non-autistes que nous évaluons dans tous les secteurs sont de plus en plus semblables entre eux, déclare le chercheur. Si la tendance se maintient, il n’y aura plus de différence objectivable entre les autistes et la population générale dans moins de 10 ans! Nous risquons ainsi de “perdre le signal” de l’autisme – qui devient quelque chose de trivial – parce que nous posons ce diagnostic auprès de gens qui sont de moins en moins différents des autres.»

Afin de s’assurer que la tendance observée était propre à l’autisme, l’équipe de chercheurs a également analysé des données de domaines similaires tirées de travaux sur la schizophrénie. Non seulement il n’y a pas d’augmentation de la prévalence de cette maladie dans la population, mais la tendance est plutôt à l’augmentation de l’ampleur de l’effet entre schizophrènes et non-schizophrènes.

Le changement des pratiques diagnostiques

Les critères pour diagnostiquer l’autisme n’ont pourtant pas changé au cours des années qui ont vu cette différence s’étioler. Ce qui a changé, croit le Dr Mottron, ce sont les pratiques diagnostiques. «Trois des critères pour diagnostiquer l’autisme concernent la sociabilité, explique-t-il. Il y a 50 ans, l’autiste était la personne qui n’avait pas d’intérêt apparent pour les autres; aujourd’hui, c’est celui ou celle qui a moins d’amis que les autres. L’intérêt pour les autres peut s’observer de diverses façons, dont regarder les gens dans les yeux. Mais il se peut qu’on évite le regard des autres parce qu’on est gêné et non parce qu’on est autiste.»

On ne parle d’ailleurs plus d’autisme mais de «trouble du spectre de l’autisme», ce qui montre que la notion actuelle recouvre de multiples formes hétérogènes. Certains vont même jusqu’à mettre en doute que l’«autisme» existe.

«Pourtant, l’autisme présente un profil unique, répond le psychiatre à cette question. Notre étude démontre que ce sont les changements dans les pratiques diagnostiques, associés à une augmentation fictive de la prévalence, qui alimentent les théories selon lesquelles l’autisme n’existe pas.»

Bien qu’il reconnaisse l’existence d’un continuum apparent entre autistes et non-autistes, il souligne qu’un tel continuum peut résulter de la juxtaposition de catégories naturelles. «À l’extrême du continuum de la socialisation apparente, nous avons une catégorie naturelle qui est l’autisme. Et nous n’avancerons dans ce domaine qu’en travaillant sur cette extrémité», soutient-il.

À son avis, les études sur l’autisme comporteraient trop de participants qui ne diffèrent pas suffisamment des non-autistes. Contrairement à la règle qui prévaut généralement en science, il affirme que plus le nombre de sujets est grand dans les études sur l’autisme tel qu’il est défini actuellement, moins les chercheurs ont de chances de faire des découvertes sur les mécanismes de ce trouble. Aucune découverte importante n’aurait du reste été faite de ce côté depuis 10 ans.

À propos de cette étude

L'article «Temporal changes in effect sizes of studies comparing individuals with and without autism: a meta-analysis», écrit par Laurent Mottron et ses collaborateurs, a été publié le 21 août 2019 dans JAMA Psychiatry.

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