«La jeune génération a réussi là où l’on a échoué!» Thomas Mulcair
- Revue Les diplômés
Le 9 décembre 2019
- Mathieu-Robert Sauvé
Ex-ministre de l’Environnement du Québec et ancien chef du Nouveau Parti démocratique, Thomas Mulcair a imaginé comment on a pu réduire nos émissions de gaz à effet de serre entre 2019 et 2050.
Les diplômés: Qu’est-ce qui distingue une famille moyenne en 2050, dans une société «carboneutre», de celle de 2019?
Thomas Mulcair: D’abord, elle ne possède pas de ces véhicules hyper polluants que les Québécois affectionnaient tant 30 ans plus tôt. Je rappelle que c’est au Canada qu’on trouvait en 2019 la plus grande concentration dans le monde de véhicules polluants, et le Québec ne faisait pas exception. En 2050, les automobilistes sont donc passés de façon très majoritaire du côté du transport électrique. Comme nous produisons de l’électricité grâce à une source d’énergie renouvelable, l’eau, l’électrification des transports a contribué beaucoup à la réduction des gaz à effet de serre. Également, l’utilisation du mazout comme combustible pour le chauffage, dans les secteurs industriel et résidentiel, a pratiquement disparu.
LD: Est-ce que l’État a carrément interdit les véhicules à essence?
TM: Sans aller jusqu’à l’interdiction complète, il est devenu très couteux d’utiliser des moteurs à explosion. En Scandinavie, on a instauré dès les années 2010 des mesures dissuasives pour forcer la conversion à l’électricité. Un système de taxes qu’on appelle aussi «bonus-malus» incite les consommateurs à faire des choix plus écologiques. Mais il faut bien comprendre que la population du Québec représente un millième de la population de la planète en 2050. Pour jouer un rôle de chef de file, on a compris qu’il fallait agir sur l’un des piliers du développement durable: la réduction des inégalités.
LD: Du point de vue des élus, qu’est-ce qui a été le plus difficile pour réussir le virage?
TM: Je crois que c’est le travail coordonné de tous les secteurs de la société qui a été la clé de la réussite. L’État a réussi non seulement à établir des règles cohérentes pour le développement durable, mais à les faire respecter. On se souvient que le Protocole de Kyoto et l’Accord de Paris sur le climat visaient les bonnes cibles, mais on n’a pas su appliquer les mesures prévues pour les atteindre. J’ai passé des années en politique, j’ai fait ce que j’ai pu comme ministre de l’Environnement; j’ai notamment fait adopter une loi sur le développement durable et j’ai fait ajouter dans la Charte des droits et libertés de la personne le droit de vivre dans un environnement sain. Malgré cela, le Canada a échoué à remplir ses obligations aux termes de l’Accord de Paris. Donc, ça prenait un changement de paradigme et ce sont les jeunes qui y sont parvenus en 2050.
LD: Les entreprises se sont donc adaptées pour réduire leurs émissions polluantes?
TM: Elles n’ont pas eu le choix. Sur le coup, c’est peut-être difficile à faire comprendre aux gens d’affaires, mais à la longue ils se sont rendus à l’évidence. Je vous rappelle que, au début du 20e siècle, il y avait encore des enfants qui étaient obligés de travailler dans les mines. Les compagnies minières n’ont pas été heureuses d’appliquer des mesures pour cesser ces pratiques; elles ont dû perdre beaucoup d’argent. Mais personne ne remet en question aujourd’hui l’application des lois interdisant le travail forcé des enfants. C’est un peu la même chose avec le développement durable. D’ailleurs, j’aimerais souligner que, même avec la meilleure volonté, les Québécois ne sont pas isolés du reste du monde dans ce combat. Ils sont tributaires des réalités internationales. Il n’est pas souhaitable que l’industrie de l’aluminium, qui transforme ici du minerai avec de l’énergie propre, soit en compétition avec des pays qui produisent pour moins cher des lingots avec des sources d’énergie polluante. Même s’ils les vendent à un prix moindre. Donc en 2019, on exportait beaucoup de notre pollution et l’on faisait comme si cela ne comptait pas dans notre budget carbone…
LD: À quoi attribuez-vous les succès obtenus par les Québécois en matière de réduction des gaz à effet de serre?
TM: À la révolution verte qui s’est opérée dans la population et qui est largement due à la volonté des jeunes. Les millénariaux ont réussi là où ma génération a échoué. Les jeunes se sont révoltés contre un état de fait qui était en train de nuire à la santé et à la vie sur la planète ainsi qu’à la biodiversité. Et à cette force collective, je dis bravo!