Découverte de deux états quantiques d’un matériau supraconducteur prometteur
- Forum
Le 31 janvier 2020
- Martin LaSalle
Le doctorant Olivier Gingras, de l’UdeM, a découvert qu’un matériau supraconducteur possède deux familles d’états quantiques pouvant mener à de possibles innovations dans le transport d’électricité.
Toutes les technologies que nous utilisons fonctionnent grâce à des matériaux conducteurs d’électricité ou de champs magnétiques qui, à l’échelle atomique, offrent une résistance et engendrent une perte d’énergie importante… et coûteuse.
Aussi, depuis une centaine d’années, de nombreux physiciens ont concentré leurs recherches sur la supraconductivité, un état quantique de la matière dans lequel l’électricité peut voyager à l’infini sans résistance tout en esquivant les champs magnétiques.
L’un des supraconducteurs les plus étudiés au cours des 25 dernières années est le ruthénate de strontium. Et récemment, le doctorant Olivier Gingras, du Département de physique de l’Université de Montréal, a élaboré une théorie établissant deux nouvelles familles d’états quantiques spécifiques à ce matériau.
Cette théorie prometteuse, publiée dans les Physical Review Letters et formulée sous la codirection des professeurs Michel Côté, de l’UdeM, et André-Marie Tremblay, de l’Université de Sherbrooke, ouvre la porte à de nouvelles avancées fondamentales dans le domaine de la physique contemporaine.
Supraconductivité non conventionnelle: le ballet des électrons!
La supraconductivité n’est pas une propriété intrinsèque des matériaux: c’est plutôt une phase de la matière, un peu comme lorsque l’eau se transforme en glace. D’ailleurs, pour devenir supraconducteurs, ils doivent être refroidis à des températures extrêmement basses. Les meilleurs matériaux connus en ce moment deviennent supraconducteurs à -135 °C, ce qui rend leur exploitation difficile ‒ et onéreuse.
Par ailleurs, il existe deux catégories de supraconducteurs: les conventionnels et les non-conventionnels.
«Dans les supraconducteurs conventionnels, c’est le mouvement de l’atome qui explique de quelle façon les électrons tombent en état de supraconductivité: l’atome agit comme un chef d’orchestre, illustre Michel Côté. Or, dans les supraconducteurs non conventionnels, l’atome ne joue aucun rôle: ce sont les électrons eux-mêmes qui disciplinent leurs mouvements et se structurent de façon corrélée, comme dans un grand ballet!»
Le ruthénate de strontium: la drosophile des supraconducteurs?
Si la théorie nommée Bardeen-Cooper-Schrieffer a permis en 1957 de comprendre le fonctionnement des supraconducteurs conventionnels, celui des supraconducteurs non conventionnels reste à établir.
Jusqu’en 1994, la famille de supraconducteurs la plus étudiée était celle des cuprates, une classe de matériaux à base de cuivre qui requéraient l’ajout d’un dopant pour atteindre l’état de supraconductivité.
Mais cette année-là, on a découvert le ruthénate de strontium. Connu sous l’appellation scientifique Sr2RuO4 ou SRO, ce matériau est le premier supraconducteur de structure cristalline ne contenant pas de cuivre et il offre l’avantage de pouvoir être synthétisé de manière extrêmement pure. Initialement, on croyait qu’il allait même servir à créer l’ordinateur quantique!
«Pour plusieurs chercheurs, le ruthénate de strontium pourrait devenir l’équivalent, en physique des matériaux, de ce qu’est la drosophile dans la recherche en génétique, c’est-à-dire l’outil qui permettrait d’analyser et d’expliquer la supraconductivité à partir de la symétrie des électrons», mentionne Olivier Gingras.
Toutefois, les différentes expériences menées sur ce supraconducteur ont donné des résultats fort différents.
«Tellement que même la caractéristique la plus fondamentale de l’état supraconducteur ‒ la symétrie du paramètre d’ordre [ou la manière dont les électrons s’apparient pour donner naissance à la supraconductivité] ‒ reste un mystère pour les chercheurs», poursuit le lauréat de la prestigieuse bourse Excellence Hydro-Québec de l’UdeM.
Deux états quantiques qui pourraient «débloquer le code» de la «musique des électrons»
Aucune théorie unique ne décrit donc, de façon satisfaisante, le phénomène de la supraconductivité non conventionnelle.
Néanmoins, la théorie des fluctuations de spin et des charges est celle qui semble la plus plausible: elle postule l’existence d’un liant qui explique le mouvement orchestré des charges électriques ‒ une sorte de musique inhérente aux électrons.
Pour tenter de déchiffrer cette «musique», il faut effectuer d’imposants calculs qui tiennent compte des effets collectifs d’un grand nombre d’électrons en interaction constante. En effet, chaque gramme de ruthénate de strontium contient 10 électrons… à la puissance 23. C’est l’équivalent du nombre de grains de sable dans le désert du Sahara!
Olivier Gingras a donc confié les calculs d’essai de corrélation aux superordinateurs de Calcul Québec. Ces calculs ont nécessité l’utilisation de 100 processeurs qui, à l’issue d’une semaine, ont produit les résultats que le doctorant attendait.
«Nous avons découvert que, loin des instabilités où les fluctuations de charge augmentent, il existe deux triplets de spin à rupture de symétrie à inversion temporelle, c’est-à-dire deux nouvelles familles d’états quantiques potentiels», signale-t-il.
«Cette découverte pourrait faire progresser de façon phénoménale notre compréhension des matériaux quantiques, un peu comme si elle permettait de débloquer le code de la musique des électrons», illustre pour sa part le professeur Côté.
Une théorie qui intéresse les physiciens du monde entier
Les états quantiques mis au jour par Olivier Gingras suscitent déjà beaucoup d’intérêt dans la communauté scientifique.
Pour preuve, à l’issue de la présentation de ses résultats préliminaires en mars dernier au congrès de la Société américaine de physique, qui a réuni plus de 10 000 participants, il a été invité à un atelier de travail en Allemagne, en septembre, portant sur le magnétisme et la supraconductivité.
«La supraconductivité non conventionnelle est le casse-tête du siècle en physique, conclut Olivier Gingras. C’est super intrigant et je souhaite contribuer à élucider ce mystère de la physique contemporaine.»
Notons que sa recherche a été financée par le Fonds de recherche du Québec−Nature et technologies et par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada.