L’économiste Thomas Piketty ravit son auditoire virtuel
- Forum
Le 23 novembre 2020
- Mathieu-Robert Sauvé
À l’invitation du CÉRIUM, Thomas Piketty a présenté une conférence en ligne sur son dernier livre, «Capital et idéologie».
Plus de 2000 personnes ont assisté en direct à la présentation que l’économiste français Thomas Piketty a offerte à partir de son bureau de Paris à l’invitation du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM) le 19 novembre. L’auteur du Capital au XXIe siècle (Seuil, 2013) et du plus récent Capital et idéologie (Seuil, 2019) a convié son auditoire à «sortir des idéologies pour regarder les chiffres»; ils démontrent que les inégalités vont croissant dans le monde. Et la pandémie a exacerbé le processus.
Après un survol des points saillants de son dernier livre, une somme de quelque 1200 pages sur l’économie au sens large dans le monde, le directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales de Paris et professeur à l’École d’économie de Paris a répondu aux questions des auditeurs.
Son propos a beaucoup porté sur la lutte contre les inégalités. Citant une étude de la revue française Challenges, les 500 plus grandes fortunes de France totalisent 700 milliards d’euros en 2020, soit 30 % du produit intérieur brut (PIB). Elles s’élevaient à 10 % du PIB 10 ans plus tôt (200 milliards d’euros). Cette progression de 20 % en une décennie est «supérieure à la croissance cumulée de l’économie française» durant la même période. Ces milliardaires travaillent très fort, peut-être, mais leur labeur est-il proportionnel à celui de «tout le reste de la population»? Poser la question, c’est y répondre, a laissé entendre le conférencier, rappelant qu’il va falloir aller dans le sens d’une meilleure répartition des richesses.
Interdisciplinarité
Souriant et détendu, l’auteur a livré une conférence accessible, évitant la langue de bois. Il a précisé qu’il ne se définissait pas comme un économiste, mais comme un «chercheur en sciences sociales» qui tente d’interpréter le monde à la lumière de différentes productions scientifiques, philosophiques, artistiques et littéraires. Il a au passage égratigné l’institution universitaire française, qui continue de produire des spécialistes peu enclins à sortir de leurs ornières disciplinaires.
Louant cette interdisciplinarité, la vice-rectrice aux partenariats communautaires et internationaux, Valérie Amiraux, elle-même sociologue, a souligné que Capital et idéologie se basait sur une grande quantité de sources. «On a des récits de matelots, des lettres d’évêques, d’écrivains, de cinéastes, d’économistes, de philosophes, de sociologues.»
Thomas Piketty a expliqué que, selon lui, l’enfermement monodisciplinaire en sciences sociales est «quelque chose de très dangereux». Ses livres sont le reflet de sa propre évolution; sans rejeter ses précédents, il estime qu’il n’a jamais cessé de s’améliorer d’un ouvrage à l’autre. Il considère ainsi que Capital et idéologie est son plus abouti. C’est celui que le directeur du CÉRIUM, Frédéric Mérand, recommande pour Noël…
Bon nombre de participants ont pu engager un échange avec M. Piketty. Les questions étaient rassemblées et présentées par M. Mérand.
À la question «Sur quoi craignez-vous le plus de vous être trompé?» l’intellectuel français a répondu sans hésiter: «Sur tout!»
S’il avait su il y a 10 ou 20 ans qu’il allait défendre les idées pour lesquelles il plaide aujourd’hui, il aurait été «bouleversé», a-t-il concédé.
En tout cas, ses recherches ont une portée internationale considérable. Il a, notamment, été reçu par Barack Obama à la Maison-Blanche en 2015, ce qui lui a permis de vendre 2,5 millions d’exemplaires de son ouvrage Le capital au XXIe siècle.
Son passage au Québec, même virtuel, a suscité l’intérêt de plusieurs médias.