La vision est une victime collatérale de la pandémie

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  • Le 20 janvier 2021

  • Mathieu-Robert Sauvé
Fixer une surface lumineuse de façon prolongée augmente les risques, surtout si la lumière ambiante est atténuée. «Il faut à tout prix éviter de regarder un écran dans le noir.»

Fixer une surface lumineuse de façon prolongée augmente les risques, surtout si la lumière ambiante est atténuée. «Il faut à tout prix éviter de regarder un écran dans le noir.»

Crédit : Getty

En 5 secondes

Le directeur de l’École d’optométrie de l'UdeM, Langis Michaud, met en garde le public contre les problèmes de santé oculaire causés par l’utilisation prolongée des écrans.

Langis Michaud

Crédit : Amélie Philibert

L’augmentation du temps passé devant des écrans de toutes sortes (ordinateurs, tablettes, téléphones portables) risque d’altérer la qualité de la vision des personnes touchées par la pandémie, y compris chez les étudiants d’université en raison de l’enseignement à distance. «Je crois que le gouvernement est sensible à cette question, mais qu’il a eu plusieurs urgences à gérer avant de s’y attaquer», dit Langis Michaud, docteur en optométrie, directeur de l’École d’optométrie de l’Université de Montréal et spécialiste de la santé oculaire.

Le professeur Michaud rappelle l’existence du «syndrome de la vision sur ordinateur» (SVO), qui comprend l’ensemble des problèmes de vision qui touchent ceux et celles qui font usage d’un écran sur des périodes prolongées. «Bien que les études sérieuses ne pleuvent pas sur ce sujet, un article intéressant cite une enquête, effectuée auprès de 10 000 personnes, établissant la prévalence du SVO à près de 65 % de la population qui travaille sur écran», écrivait-il le 17 décembre dernier dans un article de la revue en ligne La Conversation qui a suscité l’intérêt de plus de 40 000 lecteurs.

Au moment de la première vague de la pandémie, en février 2020, Langis Michaud a participé à un forum gouvernemental organisé par le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux du Québec, Lionel Carmant, sur les enjeux de la vision dans la population, de plus en plus confrontée à des risques liés au temps d’écran. «C’est indiscutablement un enjeu de santé publique et le gouvernement semblait sensible à la question, puisqu’une stratégie d’intervention était en rédaction au terme de cette rencontre. Nous attendons la suite», commente le professeur Michaud.

Des pauses recommandées

S’il comprend que le milieu universitaire a dû s’adapter rapidement aux consignes de santé publique en favorisant le téléenseignement, il craint à moyen terme les effets de l’augmentation du temps d’écran chez les étudiants. «Il m’apparaît inconcevable d’imposer des cours de trois heures sur Zoom avec une pause de 15 minutes. Pour la santé oculaire, il serait nettement préférable de prendre de courtes pauses chaque demi-heure, le temps de laisser reposer nos yeux.»

À la clinique d’optométrie de l’UdeM, ouverte à 75 % de sa capacité en vertu de son statut de service essentiel, on voit de plus en plus de cas de myopie précoce, résultant entre autres d’une surutilisation des écrans. «Nous voyons des enfants de 8 ou 9 ans souffrir de myopie avancée. Au début de ma carrière, c’était exceptionnel. Ces problèmes survenaient vers l’âge de 13 ou 14 ans.»

En partie génétique, la myopie est exacerbée par les comportements et l’environnement. C’est ce qu’on appelle l’épigénétique. «En raison de la scolarisation précoce et de l’exposition aux écrans, en raison aussi du fait que les enfants passent moins de temps à jouer à l’extérieur, les problèmes apparaissent plus tôt qu’il y a seulement 20 ans. C’est très préoccupant quand on sait que la forte myopie est un facteur de risque des affections causant la cécité», indique-t-il.

Le téléphone, ennemi public

Porté environ à 18 cm des yeux, l’écran du téléphone portable nous force à concentrer le regard sur un objet très rapproché, amplifiant des dérèglements d’alignement de la vision binoculaire. «À petite dose, le système visuel peut compenser, mais si une telle exposition se prolonge, petit problème deviendra grand», résume l’expert.

La tablette électronique pose des problèmes similaires mais moins aigus, car elle est utilisée à environ 25 cm des yeux. Dans ce dernier cas, l’éclairage semble plus problématique. Même principe pour l’ordinateur, qui est plus éloigné encore (33-40 cm).

Une autre difficulté surgit: les yeux doivent «se reposer» régulièrement pour garder leur efficacité. Fixer une surface lumineuse de façon prolongée augmente les risques, surtout si la lumière ambiante est atténuée. «Il faut à tout prix éviter de regarder un écran dans le noir.»

Dans les classes des écoles primaires, où la lumière du jour est souvent défaillante, voire absente, on a installé des milliers de tableaux blancs interactifs connectés à l’ordinateur. C’est peut-être une bonne approche pédagogique, mais il faut souvent baisser la lumière ambiante pour permettre de bien voir l’écran. Cela désavantage l’écolier, qui doit écrire des notes dans la quasi-pénombre.

Aux enfants, sa meilleure recommandation tient en quelques mots: «Allez jouer dehors! C’est là qu’on trouve les plus beaux écrans.»

En plus de stimuler le corps de toutes les manières, l’activité extérieure donne aux yeux ce dont ils ont besoin, une vision à distance, panoramique, sans délaisser les observations rapprochées.

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