Les moustiques pourraient transmettre des virus aux Inuits

Plus de 10 000 maringouins font actuellement partie de son échantillonnage; un total qui augmentera significativement à la prochaine saison si les conditions sanitaires lui permettent de repartir à la chasse.

Plus de 10 000 maringouins font actuellement partie de son échantillonnage; un total qui augmentera significativement à la prochaine saison si les conditions sanitaires lui permettent de repartir à la chasse.

Crédit : Anthony Zerafa

En 5 secondes

Carol-Anne Villeneuve a identifié cinq nouvelles espèces de moustiques dans le Grand Nord canadien. Certaines pourraient transmettre des virus aux humains.

Dans le cadre de son projet de doctorat sur les insectes piqueurs dans l’Arctique canadien, Carol-Anne Villeneuve prête littéralement son corps à la science. «Ma présence suffit à attirer les moustiques et je les attrape au filet. Je peux ensuite les identifier et les examiner», dit la chercheuse de l’Université de Montréal qui travaille sous la direction du DPatrick A. Leighton, professeur à la Faculté de médecine vétérinaire.

Plus de 10 000 maringouins font actuellement partie de son échantillonnage; un total qui augmentera significativement à la prochaine saison si les conditions sanitaires lui permettent de repartir à la chasse. Son terrain d’investigation est reconnu pour sa courte saison d’été, durant laquelle des milliards d’insectes se livrent une compétition acharnée autour des rares animaux à sang chaud sur lesquels ils peuvent ponctionner quelques microlitres d’hémoglobine servant à alimenter leurs œufs. Or, on sait depuis quelques années que les moustiques sont porteurs d’une classe de virus potentiellement pathogènes pour les populations humaines, les adénovirus. Mais les recherches sur ce sujet sont peu nombreuses et peu concluantes. De plus, les travaux de recherche accessibles par les revues scientifiques sont dépassés en raison du fait que les changements climatiques ont une influence sur la progression des populations entomologiques vers le nord.

«On croyait jusqu’à récemment que seulement trois espèces de moustiques se trouvaient par exemple dans la région de Kuujjuaq. Mes recherches ont permis d’en identifier cinq de plus», mentionne l’étudiante. Reste à savoir lesquelles sont les plus dangereuses pour les humains.

Virus pathogènes

Carol-Anne Villeneuve

Crédit : Courtoisie

L’exposition aux virus a été démontrée par des tests de séroprévalence dans le nord du continent. La maladie qu’on craint le plus est l’encéphalite, note Carol-Anne Villeneuve. L’origine de ce mal potentiellement mortel provient des virus du sérogroupe californien, particulièrement sensible au réchauffement climatique. Dans les cas moins graves, les symptômes d’une infection sont assez semblables à ceux d’un rhume ou d’une grippe saisonnière, ce qui rend la source de l’infection difficile à déterminer.

Les travaux préliminaires de la chercheuse ont permis de révéler la présence du virus chez les insectes, mais sans conclure à une possible transmission à l’humain. Elle doit maintenant tenter d’établir formellement les processus de transmission des virus en Arctique en mesurant l'abondance de différents arthropodes arctiques, leurs sources de repas sanguins et leurs taux d'infection.

«Nous avons examiné la composition des populations de moustiques et la présence des arbovirus dans l'Arctique canadien. Malgré le risque de maladies à transmission vectorielle pour les communautés inuites, cet important sujet de recherche est gravement sous-exploré», explique-t-elle dans un résumé de son travail. Avec son professeur et Nicolas Lecompte, son codirecteur de l’Université de Moncton, elle souhaite que l’État mette en place un système de surveillance permanent permettant de suivre l’évolution des virus portés par les insectes.

Les dernières campagnes d’échantillonnage ont tout de même démontré des limites en matière de taxinomie. L’identification des espèces d’arthropodes ailés s’avère en effet ardue. «Nous avons décidé de recourir à l’identification par ADN, une méthode plus précise, mais plus complexe que celle consistant à noter à l’œil nu les différences morphologiques.»

Collaborer avec les Inuits

Carol-Anne Villeneuve, qui est titulaire d’un baccalauréat en microbiologie environnementale, n’en est qu’au début de son parcours doctoral, mais elle est ravie de se consacrer à ce projet interdisciplinaire qui met en relation la microbiologie, les sciences vétérinaires et la santé publique.

Son travail se fait en collaboration avec les populations locales, qui ont été intégrées à ses activités de recherche dès ses premiers échantillonnages, en 2018. «Les communautés inuites s'attendent à participer à nos recherches et à en bénéficier. Par conséquent, dès le commencement du projet, nous avons inclus les connaissances locales sur les conditions environnementales et les moustiques.»

Son accueil dans les communautés nordiques a tout de même été nimbé d’incrédulité. «Les Inuits considèrent les moustiques comme une nuisance. Ils trouvent surprenant de voir une fille du Sud s’y intéresser à ce point», dit la chercheuse en souriant.