COVID-19: les leçons du passé et d’ailleurs
- UdeMNouvelles
Le 7 avril 2021
Selon Laurence Monnais, historienne de la santé à l’UdeM, c’est en réunissant tous les savoirs qu’on va trouver les meilleures solutions pour vaincre la pandémie.
On ne l’a peut-être pas assez dit: le bilan affiché par le Vietnam après plus d’un an de pandémie est de 35 morts (et un peu plus de 2500 cas). Trente-cinq morts pour 90 millions d’habitants. Il serait facile de se dire «C’est parce qu’il y a un gouvernement autoritaire, un gouvernement qui nous cache des choses» ou encore «C’est parce que la population est habituée aux épidémies», mais on gagnerait à s’interroger très sérieusement afin de comprendre pourquoi le pays s’en sort aussi bien.
Pour Laurence Monnais, historienne de la santé et directrice du Centre d’études asiatiques de l’Université de Montréal, la réponse tient en deux mots: santé publique. Le Vietnam a une infrastructure de santé publique extrêmement efficace et pérenne, qui comprend des gens sur le terrain, des brigades sanitaires qui font de l’éducation à la prévention dont en matière de prévention des épidémies. Lorsqu’une épidémie survient, ces agents communautaires font du porte-à-porte pour repérer les personnes atteintes et s’assurer d’enclencher le processus de traçage et d’isolement dans des lieux séparés. C’est sur cette base – d’isolement extrêmement rapide des malades ou susceptibles de l’être – que fonctionnent plusieurs autres pays d’Asie, comme le Laos, le Cambodge, la Chine, la Corée du Sud et Taiwan, à quelques différences près, dit Laurence Monnais. «On devrait se souvenir de ces images fortes en provenance de Wuhan au tout début de 2020: une des premières mesures prises a été de construire des hôpitaux éphémères, destinés aux malades de la COVID-19.»
Le plus étonnant, rappelle l’historienne, c’est que l’efficacité de certaines mesures préventives de base et l’importance de l’isolement des malades dans des lieux à part n’ont rien de très neuf ni de très «asiatique»: pendant la première moitié du 20e siècle, il y a eu au Québec des hôpitaux où l’on regroupait des gens contagieux, en particulier un hôpital réservé aux personnes variolées à Montréal qui, au lendemain de la grande épidémie de variole de 1885, est devenu le premier établissement hospitalier subventionné par la Ville.
Un savoir commun à construire
L’idée que le «progrès» est linéaire en matière de santé publique et de prévention est à revisiter. Nous savions des choses utiles sur la gestion des épidémies. Que nous avons oubliées. D’où l’importance, selon Laurence Monnais, dans la réflexion sociétale actuelle et future sur la pandémie, d’écouter, en plus de tous les professionnels et chercheurs du milieu de la santé, les historiens, mais aussi les sociologues, les urbanistes, les architectes. «C’est en mettant tous les savoirs ensemble qu’on va trouver les meilleures solutions», indique-t-elle.
Pour Laurence Monnais, le fait que l’espace euro-américain est particulièrement touché par la pandémie de COVID-19 tient peut-être à une certaine arrogance, qui a pris forme au cours des 40 dernières années. «Dans les années 70, on était moins arrogants. Ma mère, médecin, me racontait les épidémies de polio. Les gens avaient une mémoire de ces évènements, de la rougeole qui tuait les enfants», observe-t-elle. Beaucoup d’entre nous ont grandi dans des sociétés où les épidémies étaient rares et moins meurtrières (si l’on fait exception de la pandémie de VIH/sida) grâce, entre autres, à la vaccination. Nous nous sommes crus à l’abri; nous ne nous sentions plus vraiment concernés.
Inégalités sociales
Quand la COVID-19 a frappé, les pays d’Europe et d’Amérique du Nord n’étaient pas prêts. Résultat? Certaines mesures préconisées par les autorités de santé publique, dans l’urgence, étaient, et restent pour certaines d’entre elles, inapplicables ou inefficaces. Par exemple, la consigne de s’isoler quand on est atteint de la COVID-19 (ou qu’on a été en contact avec quelqu’un déclaré positif) fonctionne si l’on habite à quatre dans une grande maison avec un sous-sol. Mais elle est problématique, voire dangereuse, dans des quartiers défavorisés où l’on vit à plusieurs dans un quatre et demie. Toute la famille risque d’être contaminée. «Avoir des endroits pour l’isolement des malades, c’est limiter le creusement des inégalités sociales», mentionne l’historienne.
Elle signale par ailleurs que, depuis quelques années, le discours de la santé publique vise les comportements individuels. On nous dit: vous êtes responsables de votre santé, ne fumez pas, mangez bien, faites de l’exercice. Avec la pandémie, cette logique, cette responsabilisation individuelle a continué de primer. «Si vous voulez revoir vos petits-enfants, faites ceci; si vous voulez protéger vos parents, faites cela», illustre Laurence Monnais. Ce faisant, on se leurre, pense-t-elle. Et pas seulement parce que ce n’est pas tout le monde qui a des petits-enfants ou des parents vivants. «La pandémie n’est pas une question d’individu ou de famille, c’est une question de société!» déclare-t-elle.
Repenser l’expérience humaine
L’historienne déplore que l’appel au sens commun soit souvent maladroit quand il n’est pas très explicite dans les discours des autorités de santé publique. Par exemple, en ce qui a trait à la vaccination, un certain nombre de personnes se disent qu’elles vont attendre un peu. «OK, c’est une posture compréhensible, voire légitime ‒ il s’agit de nouveaux vaccins utilisés dans le cadre d’une campagne massive inédite qui peut de ce fait susciter interrogations et inquiétudes ‒, mais si tout le monde fait la même chose, la vaccination ne fonctionnera pas. Il faut remettre la solidarité et le collectif au cœur des discours.» Et c’est en partie à l’État de le faire.
Cela dit, Laurence Monnais rappelle que la vaccination est une des façons ‒ importante ‒ de se protéger, mais que ce n’est pas la seule. Elle fait aussi remarquer qu’il n’y aura peut-être pas une «vraie fin» à cette pandémie, comme on aimerait le croire. Que le virus va peut-être continuer de circuler. Et que pour continuer de se protéger collectivement, il faudra trouver des solutions durables et inclusives, qui relèvent non seulement du secteur médical, mais aussi des domaines politique, social et économique, aux échelles locale, nationale et internationale. Il faudra tenir compte des inégalités sociales, de la densité des villes, de l’extrême mobilité planétaire, que ce soit celle des touristes, des professionnels ou bien sûr des migrants…
Bref, la pandémie nous donne l’occasion de repenser notre expérience humaine.