Un an de COVID-19: des villes transformées par la pandémie?
- UdeMNouvelles
Le 20 avril 2021
- Catherine Couturier
Les pandémies ont changé le visage des villes. Mais difficile d’évaluer si les effets de la COVID-19 dureront dans le temps, selon deux professeurs de l’UdeM.
Les épidémies du passé ont marqué durablement les villes, qu’on pense à l’implantation de réseaux d’égout ou à la conception des grands parcs. Est-ce que les initiatives prises par les villes dans la dernière année pour par exemple favoriser la mobilité ou la fréquentation des lieux publics marqueront à jamais les visages des villes? «Je ne sais pas si elles vont avoir un effet durable. On reprend vite ses vieilles habitudes, nuance d’emblée Sébastien Lord, professeur à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal. Par contre, ça va probablement changer la façon dont on planifie et conçoit la ville.»
La pandémie, principalement urbaine, nous a effectivement fait réfléchir à notre rapport aux villes. «On s’est rendu compte que certaines pratiques urbaines dominantes pouvaient se retourner contre nous», indique pour sa part Gabriel Fauveaud, professeur de géographie à l’UdeM et spécialiste des villes asiatiques.
Se déplacer différemment
Les transports en commun ont été délaissés au début de la pandémie. Les gens se sont alors rués vers leur voiture, en quête d’un sentiment de sécurité que métro et autobus ne leur offraient plus. Le travail à domicile a également diminué la demande à l’égard du transport en commun. Reste à savoir si ces changements de mœurs seront permanents. «Ça va dépendre beaucoup des employeurs. Est-ce que les gens vont continuer de travailler à domicile?» s’interroge Sébastien Lord.
Parallèlement, la popularité du vélo a monté en flèche, autant pour les loisirs que pour se déplacer. «L’utilisation du vélo en hiver n’a jamais été aussi importante», constate Gabriel Fauveaud. Plusieurs grandes villes qui disposaient d’un réseau de mobilité douce en ont d’ailleurs profité pour l’améliorer. «Elles ont vu que la COVID-19 ne disparaîtrait pas du jour au lendemain; c’est devenu un justificatif pour redévelopper ce réseau ou le pérenniser», poursuit-il.
En contrepartie, le fait d’être coincé à la maison a permis à plusieurs de redécouvrir leur quartier à pied. «La proximité a gagné en valeur. Les gens ont redécouvert la marche et par le fait même leurs installations publiques et leurs parcs de quartier», note M. Lord. Cette prise de conscience pourrait mener à une plus grande pression sur les municipalités et les décideurs pour qu’il y en ait davantage.
De nouveaux types d’habitation?
Les pandémies peuvent même avoir une influence sur l’architecture des habitations, comme le démontre l’ajout de puits d’aération et de cours intérieures dans le New York du 20e siècle. Même s’il est difficile d’entrevoir les tendances de fond, la ventilation sera certainement un point sur lequel entrepreneurs et architectes devront se pencher lors de la construction d’immeubles d’habitation, surtout ceux destinés aux personnes âgées. Dans les dernières années, on a observé à Montréal une poussée vers des logements plus petits. Les nouveaux types d’appartements de copropriété offrent plutôt des aires centrales et communes. «La pandémie viendra-t-elle bousculer cette tendance?» se demande M. Fauveaud.
La plupart des gens continuent tout de même de chercher le même type de logement. Dans l’enquête qu’il mène sur les projets résidentiels des retraités, le professeur Lord remarque qu’on a pour l’instant affaire plutôt à des projets reportés qu’à de grands changements. «Par contre, les gens vont de plus en plus vouloir ajouter un coin bureau», avance-t-il. La popularité des zones extérieures aménagées, balcons et terrasses perdurera peut-être aussi.
Mais ces choix et volontés ne sont pas à la portée de tous. «La pandémie a montré de façon spectaculaire les inégalités», mentionne M. Lord. Les quartiers défavorisés où logent les travailleurs essentiels ont d’ailleurs été fortement touchés par la pandémie. «Ces personnes sont locataires et ont des revenus modestes. Ce ne sont pas elles qui vont aller en banlieue et accéder à des propriétés», souligne-t-il. Les administrations municipales devront réfléchir aux conditions de vie de ces ménages, surtout que ces quartiers comportent peu de lieux et de parcs publics.
À la recherche d’espace
Si une chose a bien changé depuis cette pandémie, c’est la prise de conscience de la valeur de l’espace, estime Sébastien Lord: jardin, balcon, parcs et endroits où marcher ont pris de l’importance pour les gens confinés à la maison. «Cette valeur les a incités à déménager en banlieue ou encore plus loin», observe-t-il.
Quant à savoir si cela favorisera l’étalement urbain, difficile à dire. «La situation est venue accélérer certaines tendances, dont l’étalement urbain. Les gens cherchent des habitations plus grandes», dit M. Lord. «Mais ce n’est pas toujours clair qui achète en banlieue», ajoute M. Fauveaud. Est-ce que ces acheteurs vivaient déjà en banlieue et se sont davantage éloignés? Est-ce que ce sont des citadins qui ont décidé de quitter les quartiers centraux?
Avec le travail à la maison, certains en ont aussi profité pour s’établir en région. «Des régions ont vendu en un an l’équivalent des logements qui trouvaient preneur en deux ou trois ans»! s’étonne M. Lord. Les gens de la capitale et de la métropole se sont précipités sur les propriétés dans les régions limitrophes, comme Kamouraska, la Montérégie, les Cantons-de-l’Est ou le nord de Montréal. Ces régions vont en tirer profit à court terme, «mais, à moyen et à long terme, elles devront avoir les moyens de répondre aux demandes de services ou de commerces locaux», juge-t-il. Cette arrivée de citadins pourrait entraîner un certain déséquilibre dans le marché et faire monter les prix en région. Encore une fois, il faudra voir si ce déplacement sera permanent: «Est-ce que les gens vont se rendre compte qu’ils sont partis trop loin?» soulève M. Lord.
À contrario, il se pourrait que la pandémie et le confinement nous amènent à revaloriser la ville comme espace de rencontre et de sociabilité, croit Gabriel Fauveaud. «La COVID-19 nous a poussés à tisser plus de liens avec nos voisins. C’est la seule chose qui nous restait.»