Bicentenaire de la révolution grecque de 1821

Le Québec compte environ 70 000 personnes d’origine grecque établies principalement dans la grande région de Montréal.

Le Québec compte environ 70 000 personnes d’origine grecque établies principalement dans la grande région de Montréal.

Crédit : Piter Boj

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Ce moment mérite d’être souligné en raison de la vigueur de la communauté grecque de Montréal, mais aussi pour rappeler l’influence de la culture et de la langue d’Aristote sur notre façon de penser.

Le professeur Jacques Bouchard a beau enseigner le grec depuis 50 ans, sa passion pour le sujet résonne avec force dans chaque raison qu’il donne pour illustrer l’importance du 200e anniversaire de la révolution grecque de 1821. La première d’entre elles est la plus évidente. Le Québec compte environ 70 000 personnes d’origine grecque établies principalement dans la grande région de Montréal: «Le grec est une langue régionale de Montréal, mais la communauté grecque est loin d’être passive! Il y a bien sûr de nombreux restaurants, mais il y a également des écoles, des églises, des journaux et des chaînes de télévision», énumère celui qui est abonné à trois chaînes du pays. Le professeur titulaire de littérature grecque moderne et directeur des études néo-helléniques à l’Université de Montréal poursuit: «Quand je me lève le matin, j’écoute tout de suite les nouvelles qui viennent de Grèce et je parle grec tous les jours, car la communauté a conservé sa langue d’origine.»

Le fil d’Ariane de l’histoire

Jacques Bouchard

Le lien qui nous unit à la Grèce est aussi important d’un point de vue historique. En effet, la révolte grecque contre l’Empire ottoman lancée en 1821 avait attiré l’attention et la sympathie de nombreuses villes d’Europe et d’Amérique du Nord: «Vous savez, quand les Grecs ont fait la révolution, les journaux de Montréal et de Québec – La Minerve, Le Canadien, etc. – en parlaient chaque semaine ou à peu près. Les Patriotes de 1837 connaissaient cette révolution, suivaient son déroulement et ont pu croire qu'ils pouvaient se débarrasser des Britanniques comme les Grecs s'étaient débarrassés des Ottomans. On peut lire en filigrane dans les journaux [de l’époque] une sympathie extraordinaire pour la cause grecque justement parce que tous nos prêtres, tous nos médecins, tous nos avocats avaient étudié le grec ancien», explique M. Bouchard.

De cette langue que le professeur qualifie de «langue maternelle de la civilisation occidentale» émane un concept, une valeur première: «C’est la liberté. Liberté de pensée et liberté politique. Les Grecs ont fait leur révolution après quatre siècles de joug ottoman et cela a, comment dire…, influencé [Louis-Joseph] Papineau, qui avait dans sa bibliothèque des livres sur la Grèce moderne, puisqu’il avait fait des études classiques», souligne le professeur en faisant remarquer qu’un autre personnage notoire est passé par la Grèce avant d’aboutir au Québec. Il s’agit de Louis de Frontenac, capitaine dans les troupes françaises envoyées en Crète en 1669 pour défendre l’île contre l’invasion turque. Trois ans plus tard, Frontenac était nommé gouverneur général de la Nouvelle-France par le roi Louis XIV!

La Grèce éternelle

En plus d’enseigner à l’Université de Montréal, Jacques Bouchard a traduit un grand nombre de romans et de recueils de poésie du grec vers le français. Il est donc bien placé pour parler de l’ascendant de la langue et de la culture grecques sur notre façon de penser: «Vous ne connaissez peut-être pas le grec moderne, mais vous employez tous les jours des milliers de mots qui viennent du grec», dit-il avant de rappeler l’influence que la traduction et l’étude des écrits de philosophes et de penseurs tels que Platon, Plutarque et Aristote ont eue sur notre manière de réfléchir et de juger.

Depuis le mois de mars, le professeur Bouchard a donné des conférences et participé à des tables rondes sur des sujets connexes au soulèvement pour l’indépendance grecque de 1821. Par ailleurs, un comité d’étudiants et d’étudiantes en études néo-helléniques à l’UdeM prépare des activités qui auront lieu tout au long de l’année. M. Bouchard évoque avec enthousiasme l’une d’elles prévue à l’automne: «Avec mon collègue Jacques Y. Perreault, qui enseigne l’archéologie, nous ferons une série de conférences en français à Montréal pour mieux faire connaître la Grèce du point de vue culturel et dans une dimension diachronique, c’est-à-dire depuis l’Antiquité jusqu’à maintenant. J’ai des étudiants qui ont fait des thèses de doctorat et des mémoires de maîtrise qui parleront de leurs recherches.»

Parmi les autres activités à surveiller: un colloque international sur le soulèvement pour l’indépendance grecque de 1821 qui abordera les causes et les effets du mouvement, dont ceux au Québec (alors le Bas-Canada). Des entrevues avec des «philhellènes» (surnom donné aux sympathisants de la cause grecque à l’époque de la révolution) montréalais contemporains sur leur attachement aux études néo-helléniques et à la Grèce moderne. À noter que les 50 ans d’enseignement du professeur Bouchard seront également soulignés à travers certaines activités.

Cinquante ans d’enseignement

La passion du professeur de 80 ans pour la Grèce remonte à l’époque où il fréquentait le collège classique: «À l’âge d’à peu près 12 ans, j’étais un petit scout et j’avais écrit de ma blanche main une lettre à l’ambassade de Grèce à Ottawa pour demander qu’on m’envoie des journaux, des timbres, des dépliants. J’étais fasciné par l’alphabet grec et les lettres qui n’existent pas dans le nôtre, comme le xi, l’oméga et le psi», raconte celui qui a appris l’alphabet en lisant les journaux d'alors. Il se souvient aussi que, en voyant les photos de l’Acropole et du Parthénon dans le manuel scolaire de son voisin de classe, il avait remarqué qu’il n’y avait pas un chat sur l’Acropole et il s’était dit que, en tant que scout, il irait donc y camper!

Après ses études de lettres classiques à l’Université Laval dans les années 60, il a obtenu sa thèse à l’Université Aristote de Thessalonique en 1970: «Avant d’enseigner à l’Université de Montréal à partir de 1973, j’étais à l’Université Laval et c’est comme ça que je suis arrivé à 50 ans d’enseignement. Je suis toujours actif et je prétends, si Dieu le veut, si Zeus le veut, me rendre jusqu’en 2023 pour atteindre mes 50 ans à l’UdeM. J’ai des étudiants très motivés, des gens qui vont en Grèce chaque année et qui sont persuadés que, quand vous avez en vous ce virus de l’hellénisme, vous ne pouvez pas vous en débarrasser!»

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