Comprendre le mal de chien

  • Forum
  • Le 6 mai 2021

  • Mathieu-Robert Sauvé
La Dre Hélène Ruel, étudiante de doctorat à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal

La Dre Hélène Ruel, étudiante de doctorat à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal

En 5 secondes

Peu étudiée et mal comprise, la douleur neuropathique chez le chien fait l’objet d’une recherche doctorale signée Hélène Ruel.

Votre chien boite, refuse de manger; il dort plus que jamais et a perdu son entrain habituel. Il faut consulter. «En clinique vétérinaire, la douleur de son animal de compagnie est un des principaux motifs de consultation. Mais ce n’est pas toujours facile de savoir si son chien souffre. Certains types de douleurs, comme la douleur neuropathique, sont difficiles à diagnostiquer», affirme la Dre Hélène Ruel, qui a choisi d’étudier ce sujet dans son doctorat à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal.

Les animaux de l'étude avaient des douleurs qui étaient apparues spontanément. Cette étude a été réalisée avec le consentement des propriétaires. Les tests effectués étaient bien tolérés par les chiens et la contention a été peu ou pas utilisée.

Crédit : Hélène Ruel

La douleur neuropathique, qui fait l’objet de recherches depuis plusieurs années chez l’humain, est complexe et s’accompagne de sensations singulières semblables à celles qu’on éprouve à la suite d’un choc électrique ou quand un membre est pris dans un étau. Une des images employées pour la décrire est le picotement ou la sensation de brûlure ressentie au membre fantôme par une personne qui a subi une amputation. «Nous nous inspirons des connaissances acquises auprès des patients humains pour approcher l’animal. Malheureusement, lorsque le patient n’est pas capable de décrire les sensations qu’il a, cette forme de douleur peut ne pas être reconnue. C’est le cas aussi bien chez les patients humains qui ne communiquent pas que chez les animaux», commente la chercheuse française arrivée au Québec en 2010 pour se spécialiser en neurologie animale.

La douleur, rappelle la Dre Ruel, est un mécanisme physiologique qui intervient pour alerter l’organisme sur la vulnérabilité d’une partie du corps qui a subi une lésion et vise à prévenir davantage de dommages tissulaires. Mais certaines douleurs chroniques ne jouent plus aucun rôle préventif. Chez les animaux, les chercheurs peuvent les caractériser à l’aide de tests sensoriels pour tenter de mieux comprendre leurs mécanismes. Ainsi, ils essaieront d’établir de quel type de douleur il s’agit et de proposer des traitements qui pourraient être efficaces. En effet, même diagnostiquée, la douleur neuropathique demeure difficile à traiter.

Comment traiter?

Actuellement, les experts vétérinaires de la gestion de la douleur conseillent plusieurs classes de médicaments pour essayer de la soigner. Parmi elles: les anti-inflammatoires et certains antiépileptiques. «Mais on dispose de peu de données probantes sur les meilleures approches. C’est ce que j’ai voulu explorer dans ma recherche doctorale», explique la Dre Ruel.

Sur deux ans, elle a recruté 29 chiens souffrant de douleurs neuropathiques. Chaque animal était soumis à des tests très structurés pendant trois semaines. Toutes les semaines, le chien recevait un traitement différent comprenant deux types de médicaments actifs et un placébo. Des examens approfondis ont permis de documenter les seuils de réaction aux quatre pattes à la suite de stimulations de nature diverse. Elle a ainsi pu constater l’évolution des réponses en fonction des traitements.

Tout cela était mené en étroite collaboration avec les propriétaires, qui ont dû répondre à des questionnaires sur l’état de leur animal. Mais ni le maître ni la chercheuse n’étaient au courant des produits qui étaient administrés durant l’essai clinique. Ce n’est qu’à la fin de la période expérimentale que les produits ont été connus.

Au terme des analyses, il apparaît que l’antiépileptique utilisé seul avait des effets bénéfiques plus marqués que lorsqu’il était employé avec l’anti-inflammatoire. Cependant, la combinaison des deux traitements améliorait davantage la locomotion de l’animal.

Offrir de meilleurs traitements

Les propriétaires des animaux ont donné leur plein accord aux chercheurs. Ils ont eu l'assurance qu'aucun animal ne souffrirait.

Crédit : Hélène Ruel

L’objectif de la doctorante est de proposer aux cliniciennes et cliniciens de meilleurs outils pour reconnaître et traiter la douleur neuropathique chez le chien. «C’est mon souhait, mais même si nous avons obtenu de bons résultats, nous n’en sommes pas encore au stade de l’application à grande échelle. L’étape de validation est à venir.»

Éventuellement, on pourrait viser une forme de médecine personnalisée, un peu comme en pharmacie humaine. Pour chaque individu il y aurait en quelque sorte une approche correspondant à son métabolisme, son profil génétique et sa morphologie.

La Dre Ruel travaille sous la direction du professeur Paulo Steagall, qui a dirigé une recherche de doctorat sur la douleur aigüe chez le chat, qu’on peut évaluer à l’aide d’une «échelle de grimaces». Pourrait-on compter sur un outil similaire pour le chien? «Malheureusement non, car la morphologie faciale des chiens est trop différente de celle des chats et la douleur chronique est beaucoup moins visible dans le faciès que la douleur aigüe. Il faut donc trouver d’autres moyens de déceler la souffrance chez nos animaux de compagnie», répond la jeune femme, qui a soutenu sa thèse le 16 avril.