Connaissez-vous Céline Dion? Sinon, méfiez-vous de l’alzheimer
- Forum
Le 5 juillet 2021
- Mathieu-Robert Sauvé
Une équipe de chercheurs propose d’évaluer la mémoire sémantique pour prédire la survenue de la maladie d’Alzheimer.
Qui est Céline Dion? Est-ce que son imprésario était également son mari?
Voilà des questions auxquelles la plupart des gens d’ici peuvent répondre sans réfléchir, un peu comme quand on leur demande de nommer la tour de Pise ou des objets de la vie quotidienne; ils mettent automatiquement un mot sur une image. «Cela correspond à ce qu’on appelle la mémoire sémantique. On ne se souvient pas précisément du moment où l’on a assimilé ces informations, mais elles sont bien là», explique Émilie Delage, qui mène actuellement une recherche de doctorat en neuropsychologie clinique visant précisément ce type de mémoire dans la désignation des premiers signes de la maladie d’Alzheimer.
La jeune femme croit que les résultats à des questionnaires remplis par des personnes âgées pourraient permettre de prédire de façon précoce l’apparition de cette maladie qui touchera un million de Canadiens d’ici 10 ans. «Si je vous demande ce que vous avez mangé hier, vous allez probablement faire un voyage mental pour revivre ce moment; c’est la mémoire épisodique. C’est elle qui est le plus souvent ciblée dans les tests de dépistage de l’alzheimer actuellement. Nous croyons que, en évaluant avec minutie les connaissances sémantiques, certains signes seraient perceptibles bien avant, jusqu’à une douzaine d’années plus tôt.»
La piste est d’autant plus intéressante que la mémoire sémantique est beaucoup moins altérée par le vieillissement normal que la mémoire épisodique. De légères variations pourraient donc être d’excellents indicateurs de la manifestation de la maladie. De plus, la mémoire sémantique n’est pas sujette à l'action des facteurs situationnels qui affectent les résultats aux tests de mémoire épisodique. Une personne qui ressent de l’anxiété, du stress ou de la fatigue peut avoir des problèmes à réaliser des tâches de mémoire épisodique.
Des patients en observation
Émilie Delage souhaite examiner comment les résultats des sujets aux tests de mémoire sémantique peuvent servir à établir leur futur diagnostic de la maladie d’Alzheimer. «Nous posons l’hypothèse que les sujets les plus à risque auront davantage de déficits sémantiques observables», dit l’étudiante-chercheuse et clinicienne qui travaille sous la direction de Sven Joubert, professeur au Département de psychologie de l'Université de Montréal, et d’Isabelle Rouleau, professeure de neuropsychologie à l’UQAM.
Un second volet de son doctorat portera sur l’imagerie médicale. Elle se demande si les patients atteints d’un trouble cognitif léger accompagné de déficits sémantiques présentent une réduction du volume de matière grise dans les régions du cerveau qui sous-tendent la mémoire sémantique. «La maladie d’Alzheimer affecte le cerveau, c’est un fait bien documenté aujourd’hui. Mais on veut savoir si l’on peut observer des variations morphologiques de façon précoce», mentionne-t-elle.
En plus de reprendre des données rétrospectives de patients qui fréquentent l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal, l’équipe de recherche va analyser les données d’environ une centaine de participants âgés en bonne santé et de personnes souffrant d’un trouble cognitif léger, considéré comme le signe avant-coureur de la maladie d’Alzheimer. Il s’agit d’une des premières grandes études prédictives s’appuyant sur la mémoire sémantique.
Même si l’on est encore loin de pouvoir conclure à l’efficacité clinique de la nouvelle approche, Émilie Delage croit qu’une méthode de dépistage précoce de la maladie d’Alzheimer pourrait aider à en atténuer les effets.
«La désignation des déficits mnésiques chez les individus à risque de développer la maladie d’Alzheimer pourrait ouvrir la voie à des programmes d’intervention sur mesure. Cela pourrait réduire la détérioration cognitive et sociale chez ces personnes, améliorer la qualité de vie des patients et réduire à long terme les coûts sociaux associés à la maladie», conclut-elle.