Décortiquer le sommeil pour révéler notre état de santé
- UdeMNouvelles
Le 15 mars 2024
- Bruno Geoffroy
Étudier le sommeil pour diagnostiquer plus tôt la maladie d’Alzheimer ou encore prédire la survenue de crises d’épilepsie, c’est le pari ambitieux de Valérie Mongrain.
Nous dormons près d’un tiers de notre vie, et, pourtant, de nombreux pans du sommeil demeurent encore inexpliqués. Les dernières avancées en neurosciences devraient permettre de décoder certains des mécanismes de cette fonction biologique essentielle à un bon état de santé.
L’équipe de Valérie Mongrain, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en physiologie moléculaire du sommeil et professeure au Département de neurosciences de l’Université de Montréal, s’attelle ainsi à mieux comprendre les relations entre sommeil et santé.
«Avec Jonathan Brouillette, chercheur à la Faculté de médecine de l’UdeM, nous cherchons par exemple à identifier des biomarqueurs présents au début de la maladie d’Alzheimer. Pour ce faire, nous nous intéressons aux effets des oligomères bêta-amyloïdes sur les neurones et le sommeil», explique la chercheuse, dont le projet a été financé sur cinq ans par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC).
La littérature scientifique est claire: les oligomères bêta-amyloïdes s’accumulent dans le cerveau une à deux décennies avant le diagnostic de la maladie d’Alzheimer.
Ces agrégats sont impliqués dans la perte de connexions — les synapses — entre les neurones, notamment dans l’hippocampe. Cette région du cerveau est impliquée dans le contrôle du sommeil et contribue à la mémoire dite explicite grâce à laquelle nous nous souvenons consciemment des choses.
«Bien que les personnes malades présentent des troubles de l’éveil et du sommeil, qui sont parmi les premiers symptômes cliniques observés, on ne sait pas quelle est la part de responsabilité des oligomères dans ces altérations. On parle ici d’insomnie ou de changements d’horaire de sommeil par exemple.»
Une signature cérébrale de la maladie
Pour le savoir, Audrey Hector, doctorante supervisée par Valérie Mongrain et Jonathan Brouillette, a d’abord injecté des oligomères bêta-amyloïdes solubles dans l’hippocampe de jeunes rats mâles. Elle a ensuite procédé à des enregistrements électroencéphalographiques (EEG), une mesure de l’activité électrique du cerveau, afin de déterminer l’impact des oligomères sur les séquences d’états de veille et de sommeil chez les rongeurs.
Dans leur étude publiée en octobre 2023 dans Alzheimer’s Research & Therapy, les scientifiques révèlent non seulement un changement de l’activité cérébrale pendant le sommeil et l’éveil, mais mettent aussi en évidence l’existence d’une signature électroencéphalographique spécifique à la pathologie.
«En clair, cette signature pourrait servir de biomarqueur pour identifier des individus à risque de développer la maladie d’Alzheimer et ce, bien avant que le diagnostic de la maladie soit posé, dit Valérie Mongrain. Surveiller l’activité cérébrale à la recherche de cette signature pourrait être utilisé comme un outil de diagnostic non invasif et permettre des interventions thérapeutiques plus précoces.»
Si les EEG pendant le sommeil sont un peu plus compliqués, la chercheuse, impliquée dans le Réseau québécois de recherche sur le sommeil des Fonds de recherche du Québec – Santé, espère désormais trouver une signature suffisamment robuste pour pouvoir les faire en quelques minutes pendant la phase d’éveil.
Le sommeil, indicateur de crise d’épilepsie
Après seulement un an passé au Centre de recherche du CHUM (CRCHUM), Valérie Mongrain a déjà pu entamer des collaborations prometteuses, notamment avec le groupe d’Élie Bou Assi et du Dr Dang Khoa Nguyen, deux spécialistes de l’épilepsie au CRCHUM.
Ensemble, ils essaient de déterminer si le sommeil pourrait être un bon indicateur des crises à venir. Ils s’appuient sur des EEG pris entre autres pendant les périodes de sommeil de personnes suivies pour troubles épileptiques à l’Unité de monitoring de l’épilepsie du CHUM.
«Grâce aux outils d’intelligence artificielle développés par Élie Bou Assi, nous cherchons s’il y a une signature EEG ou des altérations des ondes lentes pendant le sommeil qui nous permettraient de prédire avec fiabilité la survenue d’une crise, et d’avertir la personne de ne pas conduire ou d’aller au travail par exemple», explique Valérie Mongrain.
Et ses aventures scientifiques ne s’arrêtent pas là.
On le sait: chez l’humain, les rythmes circadiens s’ajustent aux cycles de lumière et d’obscurité qui passent par la rétine. Avec l’équipe d’Adriana Di Polo, professeure titulaire à la Faculté de médecine de l’UdeM et experte de la physiologie de la rétine au CRCHUM, Valérie Mongrain explore actuellement la contribution de molécules d’adhésion, impliquées dans la régulation du sommeil, dans le fonctionnement de la rétine et de l’horloge biologique.