Politique: après un an et demi, quel est le bilan de la gestion pandémique?

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Éric Montpetit, qui enseigne la science politique à l’UdeM, jette un regard sur la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement de François Legault.

Éric Montpetit

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À l’aube de la rentrée scolaire, de l’imposition d’un passeport vaccinal inédit, de la disparition progressive du télétravail, d’une quatrième vague de plus en plus probable, quelle évaluation pouvons-nous faire de la gestion de la pandémie par le gouvernement du Québec?

Éric Montpetit, politologue et professeur au Département de science politique de l’Université de Montréal, nous livre ses commentaires et son analyse de la performance politique du gouvernement de François Legault.

En mars 2020, vous étiez d’avis que le Québec semblait bien outillé pour traverser la crise de la COVID-19 en comparaison des autres États. Avec le recul, quelle est votre opinion sur la question?

Un an et demi plus tard, je dirais que le tableau est nuancé. La première vague a infligé de lourds dommages, puisque nous n’avons pas vu arriver les problèmes dans les CHSLD. Est-ce que nous avons manqué de clairvoyance au Québec à ce sujet? Par rapport à certains États, oui.

Sur d’autres plans de la crise, cependant, le gouvernement du Québec s’est démarqué positivement, surtout en matière de vaccination. Sur ce point, le Québec se classe parmi les meilleurs dans le monde. Ce qu’il faut garder en tête, c’est que le premier ministre et son équipe doivent prendre des décisions importantes dans un contexte de grande incertitude. Le SRAS-CoV-2 étant un nouveau virus, les connaissances et les observations scientifiques à son sujet sont nécessairement limitées.

Prenons l’exemple du couvre-feu. En janvier 2021, le gouvernement décide de l’imposer, alors que très peu de pays dans le monde l’avaient fait. La décision ne pouvait donc pas reposer sur une certitude scientifique, puisque, faute d’observations, très peu d’études scientifiques sur le sujet existaient. Encore aujourd’hui, et bien que le Québec et des pays européens aient utilisé cette mesure pendant plusieurs mois, il demeure une part importante de doute quant à son influence réelle.

Mon bilan mitigé s’explique de cette façon: à défaut de connaissances solides sur les mesures à mettre en place pour contrer une pandémie de l’ampleur de la COVID-19, le gouvernement a opéré selon une méthode d’essai-erreur. Certaines mesures ont fonctionné, d’autres non, mais impossible de le savoir avant de les avoir appliquées. Pour dire franchement, je ne vois pas comment il aurait pu faire autrement, les connaissances étant tellement minces au moment de décider.  

Pensez-vous que ces décisions prises à tâtons ont un effet sur la confiance du public à l’égard du gouvernement? Est-ce une bonne gestion politique?

Pour moi, la confiance à l’égard du gouvernement du Québec est une énigme. Depuis le début de la crise, le gouvernement Legault suscite un niveau de confiance relativement élevé. Quand nous comparons ce niveau de confiance avec ceux de gouvernements européens ou du Canada anglais, qui se sont effrités lors de la crise, François Legault semble faire bande à part.

Et puisque le bilan de la gestion de la crise est nuancé, entre bons coups et ratés, ce n’est certainement pas la performance du gouvernement qui explique la confiance élevée. Donc qu’est-ce que c’est? Je n’ai pas la réponse, seulement des hypothèses. Serait-ce le style de communication de M. Legault qui fonctionne bien? La faiblesse des partis d’opposition? La place réduite qu’ils ont eue dans l’espace public pendant la crise? La culture docile des Québécois?

Et qu’en est-il des décisions tardives et des reculs, comme tout récemment l’imposition du masque dans les écoles primaires et secondaires? Peuvent-elles altérer la confiance de la population?

Les reculs sont les effets de l’utilisation de la méthode d’essai-erreur. Le gouvernement tente quelque chose et recule lorsque les résultats ne sont pas au rendez-vous ou que les décisions suscitent trop de craintes. C’est comme ça depuis le début de la crise. Par exemple, l’automne dernier le gouvernement avait décrété un confinement de 28 jours, une mesure censée réduire la hausse des cas, mais ce confinement s’est poursuivi beaucoup plus longtemps. Le gouvernement avait aussi annoncé que les rassemblements seraient autorisés pendant les fêtes, puis il s’est ravisé.

Ces revirements ne semblent pas miner la confiance du public, puisque les gens comprennent intuitivement que les décisions doivent être prises dans un contexte de grande incertitude. Les Québécois semblent pardonner ses reculs au gouvernement Legault. La question est de savoir pourquoi il n’en est pas de même ailleurs.

Pensez-vous tout de même que le gouvernement pourrait faire mieux? Et si oui, quelles sont les pistes de solution, selon vous?

Jusqu’à maintenant, nous avons beaucoup considéré la crise comme un enjeu de santé publique: le virus est là et il faut le combattre pour éviter que trop de gens tombent malades. Les mesures de confinement, qui permettent de réduire les contacts sociaux, sont les solutions habituelles des experts en santé publique en attendant le remède. On peut établir avec une relative facilité la vitesse de propagation d’un virus et l’on peut voir ses conséquences sur la santé des personnes qui le contractent. Lorsqu’un nouveau virus apparaît, qu’il semble se propager rapidement et qu’il rend les gens très malades, comme dans le cas de la COVID-19, il est normal que les gouvernements veuillent agir rapidement en adoptant des mesures de confinement.

Après un an et demi de pandémie, cependant, on commence aussi à prendre le pouls des conséquences négatives du confinement: anxiété, solitude, détresse psychologique, pertes d’emplois, fermetures de commerces, expériences scolaires gâchées, centres-villes vidés, chirurgies reportées, économie chamboulée, etc. Aujourd’hui, avant d’adopter toute nouvelle mesure de confinement, il faut considérer ces répercussions. Et les experts les mieux placés pour aider le gouvernement à y réfléchir, ce ne sont pas forcément les experts en santé publique.

En plus des autorités de la santé publique, le gouvernement devrait parler à des psychologues, des psychoéducateurs, des travailleurs sociaux, des économistes, des juristes, des urbanistes, pour ne nommer que ceux-là. Ces spécialistes n’auront sans doute pas de réponse définitive à la crise, mais ils pourraient aider le gouvernement à considérer une gamme plus vaste de mesures qui s’inscriront dans la suite d’essais réussis et d’erreurs dont nous sommes témoins depuis le début de la crise.

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