Le paysage relationnel joue un rôle important pour les personnes endeuillées
- UdeMNouvelles
Le 10 novembre 2021
- Martin LaSalle
Doctorant en psychologie à l’UdeM, Philippe Laperle propose un modèle d’analyse qui permet d’explorer l’influence du paysage relationnel sur l’évolution du deuil à la suite d’un décès prévisible.
Perdre un être cher est une épreuve psychologique qui est aussi influencée par le paysage relationnel de celui ou celle qui vit le deuil. Toutefois, le rôle spécifique des différentes personnes qui forment son entourage n’est pas nécessairement pris en compte dans cette étape de la vie où l’on essaie de se rebâtir.
Conscient de cette lacune, Philippe Laperle a élaboré, dans ses travaux de doctorat, un modèle d’analyse qui permet d’avoir une vue globale de ce paysage relationnel et des influences qui en découlent. Il mène son projet doctoral sous la codirection des professeures Marie Achille, du Département de psychologie de l’Université de Montréal, et Deborah Ummel, du Département de psychoéducation de l’Université de Sherbrooke.
Ce modèle, qui a fait l’objet d’une publication dans la revue scientifique Death Studies, constitue le volet qualitatif d’une étude plus large portant sur le deuil en contexte d’aide médicale à mourir et de mort naturelle accompagnée de soins palliatifs, donc en contexte de mort prévisible à laquelle il est possible de se préparer.
Les deux objectifs du chercheur étaient de comprendre et décrire le paysage relationnel du deuil tel qu'il est perçu et vécu par les endeuillés pour ensuite présenter un modèle qui compléterait les théories actuelles du deuil.
L’équilibre du deuil à travers cinq types d’acteurs
Pour construire son modèle d’analyse, Philippe Laperle a interviewé 16 des 60 personnes qui ont pris part à son projet de recherche d’octobre 2019 à octobre 2020. L’ensemble des participants avaient perdu un être cher avant la pandémie.
Les entretiens semi-dirigés ont permis de dégager cinq types d’acteurs qui interagissent dans le paysage relationnel de personnes endeuillées:
- le défunt lui-même, dont le souvenir agit sur l’endeuillé;
- les coendeuillés, qui ont aussi été proches du défunt et qui occupent une grande place dans le récit du deuil que fait l’endeuillé interviewé;
- les confidents ou soignants, qui accompagnent l’endeuillé de façon positive dans son adaptation à la perte;
- les antagonistes – qui sont parfois les coendeuillés –, qui influencent négativement le deuil;
- les personnages secondaires qui sont spectateurs ou témoins de l'histoire du deuil, plus ou moins conscients qu'ils en font partie.
«Ce qui est le plus frappant dans les témoignages que j’ai recueillis est cet équilibre que les personnes endeuillées recherchent entre le besoin d’être entourées et d’avoir du soutien et celui d’être seules pour faire le point, sans influence extérieure», indique Philippe Laperle.
Celui-ci insiste par ailleurs sur l’importance des antagonistes dans le deuil: «On est porté à croire qu’il faut tenir ces personnes à l'écart, mais elles sont importantes, car elles représentent des obstacles que les endeuillés doivent surmonter afin d’avancer. Elles sont des occasions d’évoluer et de changer.»
À cet égard, il fait remarquer que des auteurs ont déjà souligné les défis relationnels vécus par les endeuillés et les acteurs qui écoutent leurs histoires. «Certains de ces défis ont trait aux normes inhérentes à l'environnement social et à ses croyances concernant le “bon” deuil, qui font qu’on maintient certaines relations et qu’on en crée de nouvelles tout en expérimentant la détérioration des autres et en surmontant les conflits avec les membres de la famille», évoque M. Laperle.
Un modèle aidant
«L’intérêt du modèle du paysage relationnel est qu’il permet de rendre compte de l’incidence d’une interaction sur notre manière de cheminer dans le deuil, explique le doctorant. D’un point de vue pratique, il sera un outil additionnel pour les intervenants et les endeuillés eux-mêmes, qui pourront l’utiliser pour ouvrir des portes sur des zones du deuil qui peuvent être occultées par une thérapie strictement centrée sur les aspects individuels ou intrapsychiques et moins sur les aspects interpersonnels.»
De même, ce modèle qui n’existait pas dans la littérature scientifique pourra être bonifié par d’autres recherches qui permettront d’y ajouter des éléments de complexité.
«Le deuil n’a pas que des effets individuels et les personnes endeuillées ne vivent pas exclusivement et constamment dans le deuil, conclut Philippe Laperle. On est porté à penser que le deuil se construit comme un récit en continu, mais il s’apparente davantage à un livre qu’on ouvre, qu’on ferme et qu’on ouvre à nouveau.»
Quand le bénévolat inspire une thèse de doctorat
C’est en effectuant du bénévolat pendant deux ans à l’unité des soins palliatifs d’un hôpital que Philippe Laperle a orienté son parcours de chercheur vers la mort et le deuil.
«J’étais au baccalauréat en psychologie et je voulais prendre de l’expérience en relation d’aide, relate-t-il. Après un certain temps, la responsable du programme de bénévolat en soins palliatifs de l’hôpital m’a demandé si je voulais intervenir auprès des personnes en fin de vie et de leur famille et je me suis rapidement senti à ma place dans ce milieu. C’était une façon de composer avec ma propre angoisse de la mort.»
S’il dit s’être lancé dans l’aventure «de façon un peu naïve», les expériences qu’il a vécues ont eu en lui une profonde résonance.
«Accompagner des gens qui vivent leurs derniers jours est très intense et, paradoxalement, très stimulant, confie-t-il. Au côté de mourants, je me sentais à la fois vivant et privilégié de vivre ces grands moments d’humanité brute où les masques tombent: j’ai vécu des relations très authentiques qui m’ont incité émotionnellement et intellectuellement à continuer d’accompagner ces personnes en tant que chercheur et futur psychologue clinicien.»