Lancement du télescope spatial James-Webb le 18 décembre: un exploit au parcours difficile
- UdeMNouvelles
Le 18 novembre 2021
- Martin LaSalle
Véritable prouesse technologique, le télescope spatial James-Webb doit être lancé dans un mois. René Doyon et Loïc Albert parlent des défis qui ont été surmontés pour réaliser cet exploit.
À moins d’un caprice de dame nature, le lancement du télescope spatial James-Webb aura lieu le 18 décembre vers 7 h 30 (heure normale de l’Est) à bord d’une fusée Ariane 5 qui s’envolera du Centre spatial guyanais de Kourou (Guyane française). Une fois qu’il aura atteint sa destination pour être en orbite autour du Soleil à 1,5 million de kilomètres de la Terre, il deviendra le plus important observatoire pour des milliers d’astronomes du monde entier.
Ce jour-là, le professeur René Doyon, du Département de physique de l’Université de Montréal, sera sur place pour assister au lancement de cette complexe machine à laquelle il a consacré près de 20 ans de sa carrière, assisté par plusieurs chercheurs et partenaires. C’est le cas de l’attaché de recherche Loïc Albert, de l’Institut de recherche sur les exoplanètes de l’UdeM, qui pour sa part observera le tout du centre de contrôle de mission situé à Baltimore, aux États-Unis.
Tous deux font partie de l’équipe scientifique désignée par l’Agence spatiale canadienne (ASC) pour concevoir, en grande partie, l’un des quatre instruments scientifiques sophistiqués dont est muni le télescope James-Webb ainsi qu’un détecteur de guidage.
En effet, il est doté d’un détecteur de guidage de haute précision et d’un instrument d’imagerie et de spectroscopie infrarouge appelé NIRISS (pour Near Infrared Imager and Slitless Spectrograph) – ces deux appareils ayant été conçus par la compagnie Honeywell et plusieurs autres partenaires industriels en étroite collaboration avec les chercheurs de l’UdeM et du Conseil national de recherches du Canada qui ont une grande expertise dans l’instrumentation astronomique. L’expertise de l'UdeM se situe dans l’instrumentation pour le domaine de l'infrarouge.
René Doyon était à la tête de l’équipe chargée de mettre au point le NIRISS, dont le rôle consistera, entre autres, à étudier l’atmosphère d’exoplanètes afin d’en déterminer la composition chimique et d’y scruter des signatures d’atomes et de molécules qui pourraient être des indices d’habitabilité ou même de vie extraterrestre.
«Grâce au détecteur de guidage canadien à bord de l’observatoire, chaque découverte qui découlera des données qu’aura captées James-Webb aura été guidée par des yeux canadiens!» illustre M. Doyon avec enthousiasme et fierté.
Un parcours terrestre difficile
Considéré comme le télescope le plus complexe et le plus puissant jamais construit, James-Webb est le fruit d’une collaboration internationale entre la NASA, l’Agence spatiale européenne (ESA) et l’ASC.
Amorcé dans les années 1990, le projet prévoyait que le successeur du fameux télescope Hubble, le «Next Generation Space Telescope», serait doté d’un miroir de 8 m de diamètre.
Mais au tournant des années 2000, la NASA opte pour un miroir de 6,5 m et lance les bases d’une collaboration avec l'ASC et l’ESA pour la conception des trois instruments qui devaient composer le James-Webb.
«Au départ, le Canada ne s’occupait que du détecteur de guidage et j’ai été invité à participer à la construction d’un filtre ajustable pour l’instrument américain NIRCam, l’un des trois instruments originels», relate René Doyon.
Mais jugeant le filtre proposé non essentiel à la mission scientifique de la NIRCam, la NASA décide d’enlever le composant canadien de l’instrument américain. C’est alors que René Doyon et son collègue John Hutchings, chercheur principal canadien à l’époque et chargé du détecteur de guidage, proposent qu’un instrument scientifique canadien incluant le fameux filtre ajustable soit posé sur le dos du détecteur de guidage.
«La NASA et l’ASC ont accepté notre proposition, mais nous partions de loin: il nous fallait créer un nouvel instrument tandis que les trois autres étaient déjà avancés», se souvient le professeur de l’UdeM.
«Puis, nouveau revirement, après plusieurs années de prototypage, ce filtre ajustable est incapable de survivre aux tests rigoureux de vibration. L’Agence spatiale canadienne prend la décision de revoir l’ensemble du projet, se remémore-t-il. Toute l’équipe a accepté le défi de créer un tout nouvel instrument, qui allait devenir le NIRISS.»
À ce moment, l’équipe n’a qu’un an pour fabriquer ce nouvel appareil: la NASA exige qu’il soit livré le 31 juillet 2012.
«Ce fut une année infernale tant pour l’ASC et nos chercheurs à l’UdeM que pour Honeywell et ses industriels, lance M. Doyon. Mais au final, toute l’équipe a réussi à relever le défi et l'instrument a été livré à temps à la NASA.»
Chaque découverte aura été guidée par des yeux canadiens!— René Doyon
Des doutes dissipés
C’est dans ce tumulte que René Doyon fait appel à Loïc Albert afin de participer à la reconfiguration du NIRISS. Pour ce physicien expert de l’instrumentation astronomique, c’est un rêve qui devient réalité.
En effet, M. Albert était adolescent lorsqu’il a passé sa première nuit blanche à regarder en direct les images émises par la sonde Voyager 2 lorsqu’elle a survolé la planète Neptune en août 1989. Quelques mois plus tard, il concevait son premier télescope avec un ami!
Celui qui a fait partie de la première cohorte de doctorants en instrumentation astronomique sous la direction de René Doyon venait de passer cinq ans à observer les naines brunes au télescope Canada-France-Hawaii lorsque son ancien directeur a fait appel à ses services.
Son rôle dans le projet consistait notamment à créer des données simulées «afin d’éliminer la signature instrumentale: le télescope James-Webb cherchera d’infimes signaux infrarouges dans l’espace et les sources de bruit visuel provenant du télescope lui-même doivent être le plus possible éliminées, explique Loïc Albert. Nous avons caractérisé et quantifié toutes les sortes de bruits afin de les soustraire lorsque James-Webb nous enverra les données tirées de l’Univers».
«J’étais enchanté de me joindre à l’équipe, mais dans mon for intérieur, j’avais quelques doutes que James-Webb puisse survivre après le lancement, confie Loïc Albert. J’avais le souvenir de la sonde Galileo, qui n’avait pu déployer son antenne en raison d’un seul mécanisme défaillant, alors que le télescope James-Webb possède des centaines de mécanismes et d’actionneurs pour son déploiement…»
Mais depuis, ses doutes se sont estompés. «D’innombrables tests et simulations ont été effectués et aucune situation n’a été laissée au hasard; je n’ai plus de craintes, tout ira bien!» conclut-il.
Exoplanètes et naines brunes dans la mire
Les quatre instruments dont est muni le télescope spatial James-Webb visent quatre objectifs scientifiques, soit:
- observer l’Univers primordial et les toutes premières galaxies qui se sont formées après le big bang;
- tracer l’évolution des galaxies à travers le temps;
- mieux comprendre le cycle de vie des étoiles;
- étudier et caractériser des mondes lointains et leur potentiel de vie.
Grâce à sa participation à la conception du détecteur de guidage et de l’instrument scientifique NIRISS du télescope James-Webb, le Canada aura droit à au moins cinq pour cent du temps d’observation du télescope.
Le professeur David Lafrenière, du Département de physique de l’Université de Montréal, dirigera un programme de 200 heures pour étudier les exoplanètes, tandis qu'un autre de 200 heures aussi sera dirigé par Chris Willott, du Centre de recherche Herzberg en astronomie et en astrophysique, pour rechercher des galaxies lointaines.
De même, trois chercheurs de l’UdeM auront du temps d’observation: Olivia Lim se concentrera sur le système Trappist-1, qui est composé de sept planètes dont les masses sont analogues à celle de la Terre, Stefan Pelletier étudiera la Jupiter chaude WASP-127b, tandis que Loïc Albert poursuivra sa quête de naines brunes!
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Les principaux responsables de l'équipe scientifique du détecteur de guidage de haute précision et du NIRISS, le professeur René Doyon (Université de Montréal), Begoña Vila (NASA), Chris Willott (Centre de recherche Herzberg en astronomie et en astrophysique) et Neil Rowlands (Honeywell), discutent de tests sur le télescope James-Webb au Goddard Space Flight Center de la NASA.
Crédit : Honeywell/Julia Zhou -
La fusée Ariane 5 positionnera le télescope directement sur une orbite de transfert précise vers sa destination, le point de Lagrange L2. Une fois détaché du lanceur, le télescope continuera seul son long périple de quatre semaines vers L2, qui se situe à 1,5 million de kilomètres de la Terre, soit quatre fois plus loin que la Lune.
Crédit : Agence spatiale européenne/D. Ducros