Le froid au cœur

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Le deuxième prix du Concours de contes de Noël de l’UdeM a été attribué à deux personnes, dont l’étudiante Neïla Zayet.

La semaine avant Noël, un bonhomme de neige avait été installé dans le bâtiment principal de l’Université de Montréal. Un bonhomme de neige emmitouflé dans une écharpe tricolore, usée par le temps et accompagnée d’un bonnet aux couleurs criardes. De telles fautes de goût ne sauraient se faire pardonner, mais le sourire que le bonhomme de neige arborait éclipsait bien des choses. Les grosses mailles de ses moufles mal en point par exemple. Pour illuminer l’entrée principale, on le mit face aux portes qui s’ouvraient inlassablement sur des étudiants ravis de sa présence. Et le bonhomme de neige, tout aussi émerveillé par ces jeunes gens pressés, leur adressait une mine réjouie. Le premier jour, il fut le centre de toutes les attentions, rendant le sapin posé au loin jaloux.  

– Ils ne te verront bientôt plus, c’est notre lot à tous ici, grommela-t-il, à l’image d’un enfant délaissé. 

Mais le bonhomme de neige lui prêta à peine attention, deux étudiantes venaient immortaliser le moment en prenant une photo. Alors il se tourna vers elles avec enthousiasme et leur offrit son plus beau sourire. Le second jour, il croisa les regards amusés des derniers curieux et il ne put s’empêcher d’imaginer ce que pouvaient être leurs vies. Ils paraissaient si fatigués que si sa présence seule suffisait à leur insuffler un sourire aux lèvres, il s’attellerait à la tâche avec grand plaisir. Le troisième jour, peu de passants traversèrent le hall du bâtiment, mais ceux qui le firent avaient le nez dans leur écharpe ou sur leur cellulaire, indifférents à leur environnement. Et le quatrième jour, les étudiants le virent de moins en moins. Était-il devenu invisible si vite? Les bourrasques glacées s’engouffrant dans le bâtiment refroidissaient peu à peu le petit cœur meurtri du bonhomme de neige. Le cinquième jour, il passa la journée à compter les flocons qui tombaient sur la ville, inlassablement. Une passante lui jeta malgré tout une œillade qui malheureusement ne fut qu’éphémère malgré le sourire qu’il lui offrit. 

– Je te l’avais dit. Ils nous oublient, lui lança le sapin le soir venu. 

– Mais pourquoi? se lamenta tristement le bonhomme de neige. 

Ce dernier courba la tête, il souffrait de voir ces visages sans couleurs et concentrés. Noël n’avait donc aucune signification pour eux? Le sapin reprit, moqueur: 

– Parce que notre présence est devenue une habitude et qu’ils sont passés à autre chose.  

Le bonhomme de neige déglutit. Se pouvait-il qu’on ne le regarde plus jamais? Alors ce jour-là, il tenta une nouvelle méthode pour attirer l’attention. La guirlande qui lui entourait la taille se mit à joliment clignoter. Les couleurs appelaient à la féerie et la rêverie, deux notions qui, le comprit bien assez vite le bonhomme de neige, n’étaient pas à l’ordre des priorités des passants. Toute la journée, ils traversèrent le hall comme des fantômes. Désespéré et tristement clignotant, il sentit ses épaules s’affaisser et fut prostré le reste de la journée. Le lendemain et sixième jour, il ne fit pas l’effort de lever les yeux. C’était une bien triste atmosphère pour une veille de Noël. Le hall était bercé par un silence assourdissant, vide. La neige tombait toujours, mais sous forme de tempête, attaquant quiconque mettrait le nez dehors. Les lumières du bâtiment clignotèrent à intervalles réguliers jusqu’à ce qu’elles s’éteignent brusquement dans un court-circuit, plongeant le bonhomme de neige dans la nuit. Son humeur n’en fut que plus morose. Il attendit, attendit et attendit encore que la lumière refasse surface, mais ce fut une clarté ténue au loin qui lui fit plisser les yeux. Il s’agissait d’une lampe de poche, tenue par un des vigiles de l’Université. Ses pas claquaient contre le sol, dénotant une démarche tranquille, et s’arrêtèrent non loin. Il s’avança calmement vers le bonhomme de neige et lui sourit, amusé. 

– Eh bien, il faudrait peut-être mieux s’habiller l’hiver! s’exclama-t-il. Il ne fait pas si chaud à Montréal ces temps-ci!  

Et il ramassa l’écharpe tricolore qui traînait à même le sol. Le bonhomme de neige n’avait pas eu le cœur de la rattraper lorsqu’elle avait glissé de son cou la veille. Et alors qu’il le rhabillait avec la douceur qu’on accorde aux enfants, il lui murmura un «Joyeux Noël» affectueux. Ce fut alors le plus chaleureux des cadeaux et, en voyant le vigile s’éloigner, le bonhomme de neige pleura. Des larmes de joie qui lui rappelèrent que, parfois, la magie de Noël ne désertait pas les cœurs. 

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