Le Dr David Lussier, porte-voix de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal sur les réseaux sociaux

David Lussier

David Lussier

Crédit : Amélie Philibert

En 5 secondes

Pandémie oblige, le gériatre David Lussier partage notamment son expertise au sujet des aînés, de leurs douleurs chroniques et des soins de fin de vie, histoire de donner l’heure juste.

Professeur agrégé de clinique au Département de médecine de l’Université de Montréal et directeur associé de l’innovation et de la valorisation des connaissances au Centre de recherche de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal (IUGM), le Dr David Lussier s’est créé un compte sur Twitter en mars 2011 par curiosité: il souhaitait voir comment allaient réagir les abonnés du chroniqueur Patrick Lagacé, à qui il avait accordé une entrevue au sujet des aînés.

Aujourd’hui, plus de 25 600 personnes suivent le Dr Lussier sur Twitter!

Bien qu’il ait aussi un compte professionnel sur Facebook qu’il alimente peu, de son propre aveu, c’est essentiellement par gazouillis que ce triple diplômé de l’UdeM (psychologie 1991, médecine 1995, gériatrie 2000) commente l’actualité scientifique relative à ses champs d’expertise.

Le directeur scientifique du programme AvantÂge de l’IUGM nous explique ce qui le motive à s’exprimer sur la plateforme de microblogage et comment il manœuvre dans le flot continu de messages qui déferlent sur ce réseau.

Quels objectifs poursuivez-vous en intervenant sur les réseaux sociaux? Pourquoi est-ce important pour vous?

Je nourris trois objectifs:

1) Donner de l'information juste et de qualité sur les sujets que je connais. Je trouve très difficile de voir circuler des informations que je sais fausses.

2) Faire connaître les causes qui me tiennent à cœur, notamment les aînés, la douleur chronique qui les afflige et les soins de fin de vie.

3) Accroître la visibilité de l'Institut universitaire de gériatrie de Montréal, qui jusqu’à récemment était très peu connu, mais qui est maintenant plus présent aux yeux de la population.

En parallèle, j’y acquiers des connaissances sur divers sujets. J'y ai rencontré des collègues qui m'ont permis de progresser beaucoup dans différents projets, en discutant d'expériences vécues par d'autres personnes. Je participe à plusieurs discussions privées, entre autres avec des professionnels de la santé de partout au Québec: nous échangeons sur les enjeux que nous vivons dans nos milieux respectifs.

Twitter me permet aussi de recevoir de l'information de la part d’utilisateurs, qui me parlent de leurs expériences dans le système de santé ou de leurs préoccupations, et je tente par la suite de modifier ces problématiques.

Qui visez-vous plus précisément: les personnes susceptibles de croire les désinformateurs ou ces derniers?

La désinformation est devenue plus importante avec la pandémie de COVID-19 et il faut faire davantage pour la contrer. Mais contrairement à d'autres qui le font très bien, ce n'est pas mon objectif principal. Je donne plutôt de l'information à laquelle les gens n'ont pas nécessairement accès sur divers sujets, dont la COVID-19 mais sans m’y limiter.

Pour freiner la désinformation, je vise plutôt les personnes susceptibles de croire les désinformateurs et non les désinformateurs eux-mêmes. Tenter de convaincre ces derniers ou corriger leurs propos requiert beaucoup d'énergie et les chances de succès sont très minces, donc il me paraît plus important de viser ceux et celles qui sont ou peuvent être victimes de désinformation.

Craignez-vous que les messages des désinformateurs fassent tache d’huile?

Pas vraiment. La très grande majorité des gens s'informent à des sources fiables. Les désinformateurs sont largement surreprésentés sur les réseaux sociaux et l’on a l'impression qu'ils sont très nombreux, mais cela reste un problème très limité, selon moi.

Quelle stratégie adoptez-vous pour éviter de vous faire aspirer par la controverse?

D’abord, j'ai une règle simple: je n’écris rien sur les réseaux sociaux que je ne dirais pas à la fois dans un média traditionnel ou en personne, que ce soit à une personnalité politique tel un ministre, à l’un de mes patients ou à un membre de ma famille. 

Plusieurs de mes commentaires publiés sur les réseaux sociaux ont été cités dans les médias traditionnels et il faut constamment rester conscient de cette possibilité.

Ensuite, si je parle du cas d'un patient que je trouve intéressant pour la réflexion publique, je modifie toujours des détails pour être certain que même la personne ne puisse pas se reconnaître; j'en fais ressortir les éléments pertinents d’un point de vue éducatif, même si ce n'est pas exact; ce n'est pas un case report [observation clinique] dans une revue scientifique. 

De même, je ne révèle jamais d'information acquise de façon privilégiée ou confidentielle, par exemple dans mon établissement ou dans des comités du ministère de la Santé et des Services sociaux. Je ne commente pas non plus les sujets sur lesquels j'ai une position officielle ou bien arrêtée, telle l'aide médicale à mourir, car je suis membre de la Commission sur les soins de fin de vie. Dans ce cas, je donne de l'information, mais jamais d'opinion, sauf s’il s’agit de la position officielle de la Commission. Même chose pour les soins de longue durée et les CHSLD, car je siège à un comité ministériel sur le sujet.

Enfin, je ne critique jamais mon CIUSSS [centre intégré universitaire de santé et de services sociaux] ou mon université d’attache par l’entremise des réseaux sociaux. Si j'ai des commentaires ou des critiques à formuler sur une question précise qui les concerne, j’en fais part aux personnes concernées.

Quand quelqu’un répond agressivement à vos propos, comment réagissez-vous?

Ça dépend. Lorsqu’il s’agit d’une attaque personnelle, je l’ignore. C'est difficile au début, mais on s'y habitue. Cela ne sert à rien de se confronter à la personne ou de s'engager dans une discussion.

Pour ce qui est des réactions négatives ou agressives à des faits que je sais avérés, je corrige poliment les propos si la personne semble de bonne foi et cela a fonctionné à quelques reprises. Plusieurs sont à fleur de peau après deux ans de pandémie et ils réagissent promptement tout en étant de bonne foi.

Lorsqu’une personne s’obstine en niant la gravité de la pandémie ou l'utilité et la sécurité des vaccins, je la bloque!

Quels conseils prodigueriez-vous à vos collègues qui pourraient intervenir à leur tour sur les réseaux sociaux?

Je crois qu’il faut avoir la «couenne dure» et ne pas se sentir visé par les commentaires ou attaques dont on sera certainement l'objet, qu’elles concernent la pandémie ou d'autres sujets, de la part de personnes méfiantes des experts.

À cet égard, je recommande de ne pas donner trop d'informations personnelles, tels le lieu où vous habitez, les endroits que vous fréquentez, les prénoms ou le nom de l’école de vos enfants, même des photos. En cette époque polarisante, on n'est jamais trop prudent.

Par ailleurs, à titre d’experts qui vous exprimez sur les réseaux sociaux, vous serez probablement invités à donner des entrevues dans les médias traditionnels. Lorsque c’est le cas, il faut éviter deux pièges: jouer au gérant d'estrade, qui commente un sujet sans en connaître les détails, ou à «l’omnispécialiste», qui accepte d’accorder des entrevues sur des questions qui dépassent son expertise au risque de perdre en crédibilité auprès du public ou de ses pairs.

Comme professionnels de la santé, je crois également que nous avons une responsabilité envers la population. Si nous commentons un sujet qui concerne les soins de santé, nous avons le devoir de ne pas l’inquiéter inutilement sur les soins qu’elle reçoit ou dont elle pourrait avoir besoin. Il faut donc éviter les déclarations intempestives ou catastrophiques.

Enfin, et surtout, il faut s'assurer d'y trouver du plaisir. Nous avons déjà des horaires très chargés et une présence sur les réseaux sociaux ne doit pas s'ajouter à nos tâches!