Vardit Ravitsky: informer le public... et résister aux attaques et menaces sur les réseaux sociaux

Vardit Ravitsky

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En 5 secondes

Depuis le début de la pandémie, la bioéthicienne Vardit Ravitsky a accordé de nombreuses entrevues et sa présence sur les réseaux sociaux n’a pas été un long fleuve tranquille.

Professeure titulaire de bioéthique au Département de médecine sociale et préventive de l’École de santé publique de l’Université de Montréal, Vardit Ravitsky est présente dans les médias et active sur les réseaux sociaux depuis plusieurs années compte tenu de l’intérêt que suscite son champ d’expertise, soit les biotechnologies en émergence tels les tests génétiques prénataux, la procréation médicalement assistée ou la recherche sur les embryons.

Mme Ravitsky compte plus de 3700 abonnés sur Twitter et de nombreux autres sur LinkedIn. Ses multiples interventions visent essentiellement à diffuser des connaissances et à inciter le public à prendre part à un débat éclairé sur les aspects bioéthiques de ces technologies, sur les politiques qui les régissent et sur différents articles scientifiques et évènements qui traitent de ces sujets. Toutefois, les connaissances qu’elle partage lui ont parfois valu d’être la cible de propos agressifs, voire de menaces…

Pourquoi êtes-vous active sur les réseaux sociaux?

Je le suis depuis plusieurs années, car mes champs de recherche soulèvent des questions sociales et éthiques très controversées, par exemple des préoccupations concernant l’eugénisme, les droits des personnes handicapées, les structures familiales non traditionnelles ou la vie privée relativement au partage de l’information génétique. Dans ce contexte, j'ai été présente sur les réseaux sociaux et j’ai accordé de nombreuses entrevues dans différents médias.

Cependant, depuis le début de la pandémie, les choses ont changé. En tant que bioéthicienne travaillant dans une école de santé publique, je reçois des demandes de journalistes plusieurs fois par semaine, parfois même par jour, pour commenter les aspects sociaux, éthiques et même psychologiques de la gestion de la pandémie.

Du jour au lendemain, l'éthique en santé publique n'a plus été le seul domaine des experts, elle a suscité l'intérêt de tous. En tant que spécialiste capable d'expliquer les principes éthiques qui sous-tendent les politiques mises en œuvre pour gérer la pandémie, j'ai réalisé que je pouvais favoriser la compréhension de ces mesures par le public et donc – je l'espère – leur respect. J'ai donc décidé de me mettre à la disposition des journalistes 24 heures sur 24 et d'accroître ma présence sur les réseaux sociaux.

En conséquence, depuis mars 2020, j'ai donné plus de 250 entrevues dans les médias écrits, à la radio et à la télévision. J'ai rédigé plusieurs articles d'opinion sur des sujets qui me passionnent particulièrement, comme l'iniquité vaccinale mondiale ou les protocoles de triage. J’ai animé une série de balados et publié des centaines de commentaires sur les réseaux sociaux.

Qui visez-vous plus précisément: les personnes susceptibles de croire les désinformateurs ou ces derniers?

Il existe deux types de personnes qui contribuent à la diffusion de la désinformation. Il y a les superdiffuseurs, qui créent et diffusent intentionnellement la désinformation parce qu'ils souhaitent promouvoir une idéologie politique. Et il y a les personnes qui la relaient ou la réaffichent non pas parce qu'elles ont des intentions malveillantes, mais parce qu'elles croient innocemment ce qu'elles voient et qu'elles n'ont pas l'esprit critique ni le bagage scientifique nécessaires pour évaluer la validité de ce qu'elles lisent et diffusent. Je cible principalement cette deuxième catégorie. J'espère accentuer la présence de “bonnes informations” sur les réseaux sociaux afin qu'elles soient visibles pour le plus grand nombre de gens. Il est important de rendre ces informations accessibles et compréhensibles afin que les utilisateurs aient envie de les partager.

Craignez-vous que les messages des désinformateurs fassent tache d’huile?

Oui, absolument. Tout au long de la pandémie, nous avons observé une propagation rapide de la désinformation sur tous les aspects de la COVID-19: le virus lui-même, ses effets sur les humains, l'efficacité des mesures de santé publique pour freiner la propagation du virus, l'efficacité et la sécurité des vaccins et la situation dans le système de santé… Tous les aspects de la gestion de la pandémie ont prêté le flanc à de fausses informations. C'est la raison pour laquelle le partage d'informations fondées sur des preuves scientifiques revêt une importance exceptionnelle. Nous avons également été témoins de l'extrême polarisation de la société par rapport à la vaccination et de la politisation des mesures sanitaires. Il est donc très important de proposer une analyse réfléchie et nuancée de la situation, et d'expliquer quelles données et quels principes éthiques sont appliqués lors de la prise de décision.

Quelle stratégie adoptez-vous pour éviter de vous faire aspirer par la controverse?

J'essaie de limiter le temps que je passe à lire des informations erronées. Je les examine pour comprendre ce à quoi les gens sont exposés et comment rectifier le tir. Mais je limite mon exposition à la désinformation afin de ne pas devenir trop pessimiste et désespérée.

Quand quelqu’un répond agressivement à vos propos, comment réagissez-vous?

Puisque je me suis prononcée très clairement en faveur des mesures sanitaires et en faveur de la vaccination, je suis devenue la cible de groupes antivaccins très agressifs. J'ai même reçu des menaces de mort et l'adresse de mon bureau a été partagée sur Twitter dans un contexte menaçant. Je remercie d’ailleurs l’Université de Montréal de m'avoir fourni un soutien immédiat et toutes les ressources nécessaires pour assurer ma sécurité et me faire sentir que je ne suis pas seule face à ces défis. J'ai même reçu un message personnel de soutien de la part de notre recteur, ce que j'ai beaucoup apprécié. Les recherches montrent que réagir à la violence sur les réseaux sociaux ne fait qu'exacerber les choses. Face à la violence verbale, il est important de ne pas réagir. Donc j’ignore les personnes qui me menacent et je les bloque. Mais je ne me tais pas pour autant et je continue simplement à partager de bonnes informations et des réflexions nuancées.

Que conseillez-vous à vos collègues qui voudraient intervenir sur les réseaux sociaux?

Tout d'abord, sachez non seulement quelle est votre expertise, mais aussi ce qui vous passionne. Être actif sur les réseaux sociaux prend du temps et de l'énergie qui pourraient être consacrés à des recherches et à du mentorat. Il est donc important de le faire dans des domaines qui vous tiennent vraiment à cœur et qui peuvent faire avancer la société.

Ensuite, apprenez comment être efficaces. Développez les compétences nécessaires pour communiquer de manière accessible et concise, en utilisant des exemples concrets et des récits. Créez de petits flashs d'informations pertinentes que les gens trouveront utiles et intéressants, et qu'ils voudront aussi partager.

Enfin, si vous souhaitez vous exprimer à propos de questions très controversées, tel le passeport vaccinal, préparez-vous à être confronté à des réactions très agressives, voire à des menaces personnelles. Réfléchissez aux ressources dont vous disposez pour vous aider à faire face à de telles circonstances. Assurez-vous que votre famille et vos collègues sont là pour vous soutenir afin que vous puissiez affronter ces expériences très désagréables avec résilience.