Jean Barbeau, le microbiologiste qui prêche par la pédagogie sur les réseaux sociaux
- UdeMNouvelles
Le 10 mars 2022
- Martin LaSalle
Devant le flot incessant d’études scientifiques qui traitent de la COVID-19, le virologue Jean Barbeau se fait un devoir de vulgariser celles qui relèvent de son expertise afin d’informer le public.
Spécialiste de la microbiologie et de l’immunologie, Jean Barbeau est professeur à la Faculté de médecine dentaire de l'Université de Montréal depuis 1993, où il est aussi responsable de la prévention et du contrôle des infections.
Passionné par la vulgarisation scientifique et l’enseignement, Jean Barbeau est présent sur les réseaux sociaux depuis plusieurs années parce qu’ils lui permettent d’avoir un accès rapide à différentes publications scientifiques et de communiquer avec plusieurs collègues. S’il utilisait déjà sa page Facebook pour partager des informations et publier des capsules de vulgarisation scientifique en microbiologie, la pandémie est devenue pour lui l’occasion de diffuser ses communications scientifiques et de mettre ses connaissances à la portée du public.
Le microbiologiste compte au-delà de 5400 abonnés sur Twitter et il est suivi par plus de 8200 personnes sur Facebook.
Pourquoi êtes-vous devenu plus actif sur les réseaux sociaux depuis le début de la pandémie?
Les réseaux sociaux sont de formidables outils pour obtenir rapidement des informations avant même que les médias traditionnels les diffusent et que les articles scientifiques soient publiés. C’est une force, certes, mais ça peut représenter un sérieux problème, car les réseaux sociaux sont aussi une redoutable machine à rumeurs. Sans une certaine présence de «modérateurs», des informations scientifiques erronées font 10 fois le tour de la planète en moins de 24 heures. Ces mauvaises informations peuvent être volontairement fabriquées, mais, la plupart du temps, elles résultent d’une mauvaise compréhension de certains concepts. Les tests PCR en sont un bel exemple.
L’objectif que je vise par ma présence sur les réseaux sociaux est principalement de nature pédagogique. Je veille à expliquer les concepts scientifiques dans mes champs d’expertise ou de connaissances, soit la microbiologie, la biologie moléculaire, l’immunologie, le contrôle des infections et un peu l’épidémiologie. Le public n’a pas le bagage suffisant pour comprendre certains éléments complexes où les nuances revêtent une grande importance. Il est donc, en général, mal préparé pour faire une analyse critique des informations dont on le bombarde quotidiennement. Si c’était vrai au début de la pandémie, c’est encore le cas aujourd’hui.
Nous – les experts et le public – comprenons mieux maintenant le virus, la COVID-19 et ses effets comparativement au début de la crise sanitaire, mais l’analyse des données s’est spectaculairement complexifiée avec le temps. Même les spécialistes commencent à s’y perdre! Il y a plus de 500 publications scientifiques qui déferlent par semaine sur la COVID-19. Personne ne peut véritablement les suivre au jour le jour, d’autant que certaines sortent sans même avoir été révisées par les pairs. Le suivi de l’efficacité des vaccins et de leurs retombées, entre autres, représente un grand défi.
J’ai donc senti que je pouvais aider les gens à se débrouiller dans cette jungle d’informations: mettre un peu d’ordre, départager le vrai du moins vrai et, surtout, apporter des nuances. Je voulais en quelque sorte augmenter le QI scientifique pour que ceux et celles qui me suivent puissent non seulement comprendre, mais aussi participer à la diffusion d’une information plus juste et plus digeste.
De plus, ce que l’on comprend bien offre moins de prise aux inquiétudes et aux craintes.
Quel est le public que vous visez en premier lieu?
Bien que j’espère toujours ramener les désinformateurs «professionnels» vers des informations justes, je ne me fais pas d’illusion. Ils ne lisent pas vraiment mes textes, ils en prennent les grandes lignes et invalident tout en bloc. Je vise donc les personnes qui cherchent les bonnes informations ou qui nagent entre deux eaux en espérant les accrocher avant qu’elles basculent dans le gouffre de la désinformation. J’ai quelques milliers d’abonnés qui suivent mes capsules. Je me dis qu’avec une information de qualité elles pourront contribuer à combattre la désinformation.
Craignez-vous que les messages des désinformateurs fassent tache d’huile?
Ce n’est plus une crainte: ils font tache d’huile depuis longtemps… Celles et ceux que j’appelle «modérateurs» suffisent difficilement à la tâche de contrer non seulement la désinformation délibérée, mais aussi la désinformation involontaire.
Pour chaque fausse information déboulonnée, il en apparaît 10 nouvelles. Il y a une infinité de façons de dire des faussetés, mais une seule manière de livrer le vrai; on est assailli par les deux extrêmes: ceux qui nient l’existence de la pandémie ou l’efficacité des vaccins et ceux pour qui on n’en fera jamais assez. Si corriger les faussetés des premiers est assez facile, démonter la désinformation des deuxièmes est plus complexe: ils sont mieux informés et avancent avec des intentions jugées vertueuses. Les ultra-alarmistes représentent aussi un problème.
Quelle stratégie adoptez-vous pour éviter de vous faire aspirer par la controverse?
Je tente autant que possible de rester au-dessus de la mêlée lorsque des discussions commencent à glisser du côté sombre. Mes interventions sont majoritairement des textes d’information scientifique et d’explications; ils prêtent moins à la controverse que des prises de position directes. Je crois que, en général, le public veut une information juste, mais que, parfois, il s’oriente de la mauvaise façon: trouver l’information fiable dans un domaine qu’on ne connaît pas beaucoup demande un certain bagage de connaissances. Ce n’est pas toujours simple. Je rédige mes textes en m’assurant de n’être ni offensant ni condescendant. Un faux pas dans cette direction peut nous faire perdre la confiance de ceux qui nous suivent ou étaient tentés de le faire. Avec raison, les gens n’aiment pas se faire prendre de haut.
Quand quelqu’un répond négativement, voire agressivement, à vos propos, comment réagissez-vous?
Une réaction négative n’est pas toujours une mauvaise chose. Ça me permet parfois de rectifier une information qui n’était pas claire ou d’écrire un autre texte. On peut en général savoir si la personne à l’origine de la réaction veut honnêtement une interaction constructive. Si quelqu’un prend la peine de me contredire avec un argumentaire, je demande ses sources. Très souvent il n’y en a pas ou elles sont faciles à invalider. Parfois les sources sont valables et je n’ai pas de problème à l’admettre.
Par contre, certains commentaires sont manifestement rédigés sans réplique possible: se faire accuser de cacher des informations ou d’être à la solde de Big Pharma ou du gouvernement par exemple. Dans ces cas, il est inutile d’argumenter et je «raccompagne» la personne hors de mon site ‒ c’est le terme que j’utilise pour la bloquer poliment.
Quels conseils prodigueriez-vous à vos collègues qui pourraient intervenir à leur tour sur les réseaux sociaux?
Il faut rester au-dessus de la mêlée autant que possible et s’en tenir à son domaine d’expertise et ne pas avoir peur de dire qu’un sujet dépasse son champ de compétence. Les gens respectent cette réserve. Faire des affirmations erronées et devoir rectifier le tir peut arriver, mais je crois qu’il faut éviter de s’exposer à ce genre de situation. Une perte de crédibilité ne fait pas que nous affecter personnellement; une perte de confiance du public peut s’étendre assez rapidement. Les nouvelles négatives voyagent très vite!
Pour ma part, je crois que nous avons un certain devoir de réserve: critiquer trop souvent les autorités sanitaires, d’autres collègues ou des décisions gouvernementales me semble contreproductif. Ça peut saper la confiance globale envers la science et les prises de décision où la collaboration du public est cruciale. Émettre des réserves ou des suggestions constructives lorsqu’elles sont appuyées par un argumentaire est, par contre, certainement valable et je dirais nécessaire.
Partager sur les réseaux sociaux ce que nos années d’études et d’enseignement nous ont donné et enrichir les connaissances scientifiques de la population est très gratifiant. J’encourage tous mes collègues à le faire.