Guerre en Ukraine: «L’inimaginable se déroule sous nos yeux»
- UdeMNouvelles
Le 29 mars 2022
- Mylène Tremblay
L’inquiétude vissée au cœur, la Dre Oksana Kaminska, d’origine ukrainienne et résidente en ophtalmologie à l'UdeM, raconte comment son monde a basculé il y a un mois.
Craignant bien avant l’heure de voir son pays pris d’assaut par la Russie, Oksana Kaminska a refait sa vie au Québec avec son mari et ses enfants, sans oublier ses proches restés en Ukraine. La veille de l’invasion russe, le plus jeune de ses trois garçons a dressé la table avec un couvert en plus. «C’est pour grand-père, il va venir à la maison», a-t-il rétorqué à son grand frère interloqué.
Quelques heures plus tard, le 24 février, Roman Meda réveillait sa femme pour lui annoncer le début des hostilités. «Les premiers jours, on n’y croyait pas, comme la plupart des Ukrainiens. Maintenant, on commence à s’habituer et à comprendre ce qu’il se passe», relate Mme Kaminska au téléphone, une immense peine dans la voix.
Établie à Montréal avec son conjoint et ses enfants depuis 12 ans, la médecin de 41 ans et résidente en ophtalmologie à l’Université de Montréal a réussi, à force d’insister, à faire venir son père, qui voulait rester pour «défendre les maisons et les enfants». Depuis deux semaines, il occupe sa place attitrée à table et veille sur ses petits-fils, tandis que sa fille fait son stage en chirurgie de la cataracte au CHUM et que son gendre travaille dans une clinique d’optométrie.
L’homme rescapé dort mieux et réussit à penser à autre chose, malgré les bombes qui pleuvent sur Lviv, près de la ville où il habitait, et Kyiv où résident toujours des membres de la famille. Sa femme a pu rejoindre leur autre fille en Angleterre.
Partir pour échapper à la guerre
À Ivano-Frankivsk, une ville de l’ouest de l’Ukraine, «paisible comme toutes les villes d’Europe», Oksana Kaminska et Roman Meda coulaient des jours heureux. Tous deux travaillaient en ophtalmologie. Mais au fond d’elle-même, la femme savait que l’Ukraine subirait un jour ou l’autre une attaque militaire. «Avec un voisin tel que la Russie, c’était inévitable. Après l’annexion de la Crimée, en 2014, on se doutait que Vladimir Poutine préparait la prochaine étape.»
Ce sinistre pressentiment a convaincu le couple, qui attendait un deuxième garçon, d’émigrer au Québec en 2010. Douze ans plus tard, sa crainte s’est matérialisée. «L’inimaginable se déroule sous nos yeux. Bombarder des hôpitaux, des théâtres, des écoles… Ce n’est pas une guerre d’armée contre armée, mais une guerre contre la population, se désole-t-elle. Si l’on était restés en Ukraine, notre aîné, qui aura bientôt 18 ans, aurait été forcé de combattre dans l’armée. Moi, j’étudie en médecine pour sauver des vies, pas pour tuer.»
Refaire sa vie et travailler pour aller mieux
Les nouveaux arrivants ont dû obtenir l’équivalence de leurs diplômes. Roman Meda a choisi l’École d’optométrie de l’Université de Montréal. Oksana Kaminska termine sa quatrième année de résidence en ophtalmologie au CHUM. La première partie de son stage s’est déroulée à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont sous la direction du Dr Paul Harasymowycz, professeur agrégé de clinique au Département d'ophtalmologie de la Faculté de médecine et lui aussi d’origine ukrainienne.
«Le travail me permet de passer à travers les moments difficiles. En salle d’opération, je suis totalement concentrée sur le moment présent», dit celle qui, autrement, prend continuellement des nouvelles de ses proches sur Skype ou Messenger. La fin de semaine, la famille donne un coup de main à une église ukrainienne, dans le quartier Rosemont, pour récolter des dons et les envoyer dans la contrée meurtrie. «Le fait de travailler en équipe et de se sentir utile, ça permet de garder le moral», observe-t-elle.
Le jour où les armes se tairont, Oksana Kaminska compte bien retourner ponctuellement en Ukraine pour enseigner l’ophtalmologie à l’université, comme elle le faisait de façon bénévole en temps de paix. «Le pays sera à reconstruire. Chacun ira aider comme il peut. Moi, ça passera par la transmission des connaissances. Je vais redonner là-bas ce que j’ai appris ici.»
Avant de raccrocher, nous lui demandons quel est son vœu le plus cher. Elle réfléchit, puis lance ce cri du cœur universel: «J’aimerais revenir en arrière, avant la guerre, et tout recommencer. Pour vivre paisiblement.»