Arrêtons de parler de «crise des réfugiés»!

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Pourquoi l’expression «crise des réfugiés» ne devrait-elle plus être employée?

Luna Vives

Luna Vives

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Les expressions crise des réfugiés et crise des migrants sont employées en ce moment partout dans les médias lorsqu’il est question des Ukrainiens. Bien avant, on les a lues au sujet des Syriens, des Afghans, etc. Selon Luna Vives, professeure au Département de géographie de l’Université de Montréal et spécialiste de la migration internationale, cette suite de termes serait à proscrire. Nous en discutons avec elle.

Pourquoi ne peut-on pas parler de «crise des réfugiés» ou de «crise des migrants»?

Il y a deux raisons. La première, c’est qu’une crise désigne une situation ponctuelle dans le temps. C’est une situation qui demande votre attention pour la changer parce qu’on se trouve dans un état de tension. C’est précisément le moment où il faut agir. Quand on parle des migrations des réfugiés aux États-Unis, on est en situation de crise permanente depuis les années 80. En Europe, on est en situation de crise depuis les années 90. Quand la situation s’étale sur 30 ou 40 années, le terme crise n’a par conséquent rien d’adéquat.

Deuxième raison: en parlant de crise des réfugiés ou de crise des migrants, c’est comme si l’on disait que le problème repose sur les épaules des migrants ou des réfugiés, alors qu’il découle de la situation qui les oblige à quitter leur foyer, comme une guerre, ou de l'absence d'une structure fonctionnelle correspondant aux engagements juridiques que les pays ont volontairement pris pour protéger les personnes dont la vie est menacée. Il serait donc plus approprié de parler de ces évènements comme de crises humanitaires ou politiques, deux qualificatifs qui mettent en évidence la source de tension. Il est évident que le dérèglement climatique contraindra de plus en plus de gens à quitter leur pays de sorte que nous devrions également utiliser l'expression crise climatique ou migrations liées aux changements climatiques.

Pourquoi est-ce nuisible?

Une crise demande une prise d’action rapide. Désigner une situation comme une crise donne aux politiciens le pouvoir de prendre des mesures exceptionnelles qu’il n’aurait pas été possible d’adopter dans une situation ordinaire. Cela demande une action immédiate qui peut permettre alors d’éviter le long terme.

Quels mots pourrait-on utiliser à la place?

Le problème n’est pas le mot crise, mais ceux qui viennent après: des réfugiés. On pourrait plutôt parler de crise humanitaire ou de crise politique.

Si l’on parle par exemple de la situation des réfugiés syriens en 2015 en Europe, ce n’était pas une crise des réfugiés, il s’agissait d’une crise politique. Les États membres de l’Union européenne n’arrivaient pas à se mettre d’accord: certains voulaient fermer les frontières, d’autres les ouvrir. La directive de protection temporaire qui a été appliquée pour les Ukrainiens n’a pas été mise en place.

Y a-t-il d’autres termes que vous déconseilleriez d’utiliser?

Oui, on voit également dans les médias les expressions tsunami d’immigrants, vague d’immigration, flot d’immigrants. Tout ce vocabulaire fluvial déshumanise les personnes migrantes en les noyant dans un océan de mots.

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