Libertés universitaires sous surveillance
- UdeMNouvelles
Le 26 avril 2022
- Virginie Soffer
Face au recul des libertés universitaires dans le monde, agir pour les protéger est essentiel.
Chercheurs emprisonnés, universités contraintes de fermer ou de se délocaliser sous la pression de régimes autoritaires, censure dans l’enseignement: partout les libertés universitaires reculent. Plus que jamais, la solidarité est nécessaire de la part des universités sises en contexte démocratique.
Michael Ignatieff, professeur d’histoire à l’Université d’Europe centrale, Daniel Jutras, recteur de l’Université de Montréal, et Ruth Marshall, professeure à l’Université de Toronto, se sont réunis virtuellement le 21 avril pour échanger sur les enjeux liés à la liberté universitaire. La conférence, organisée par le Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal, était animée par Valérie Amiraux, vice-rectrice aux partenariats communautaires et internationaux de l’UdeM.
L’UdeM, le lieu où réfléchir à la liberté d’enseignement et de recherche
En juin passé, l’Université de Montréal s’est dotée d’un énoncé de principes sur la liberté d’expression en contexte universitaire. Cet énoncé est le fruit d’une réflexion de l’ensemble de la communauté de l’UdeM, au premier chef le corps enseignant, mais également les personnels administratif et de soutien ainsi que la population étudiante et la communauté des diplômés et diplômées. Cet exercice collectif a permis de «prendre en considération tous les contextes où s’expriment la liberté d’enseignement, notamment dans la salle de cours avec une relation de pouvoir particulière qui dicte certaines lectures, la liberté de publication et la liberté de recherche de même que la capacité des acteurs de l’université à s’exprimer librement sur nos campus dans des contextes évènementiels, dans des conférences et dans le cadre particulier des médias sociaux», a dit Daniel Jutras, pour qui l’élaboration de cet énoncé de principes était une priorité dès le début de son mandat. Aujourd’hui, cet énoncé est accompagné d’une série de recommandations qui sont actuellement mises en œuvre.
De plus, l’Université de Montréal est membre depuis peu de Scholars at Risk, un réseau de 500 universités qui s’engagent à défendre la liberté d’expression en contexte universitaire. «Nous souhaitons nous présenter comme un lieu d’accueil sécuritaire pour des professeures-chercheuses et professeurs-chercheurs étrangers dont le travail serait mis en danger dans leur pays d’origine en raison de leur prise de parole ou de la nature de leurs recherches», a indiqué Valérie Amiraux. Cette solidarité à l’égard des communautés universitaires à l’échelle internationale s’exprime haut et fort depuis le déclenchement du conflit en Ukraine. Quatre étudiantes ukrainiennes sont déjà arrivées à l’UdeM. A également été créé le Fonds d’aide aux communautés universitaires en situation de crise humanitaire, qui vise à soutenir des étudiantes et des étudiants et des membres du personnel enseignant contraints de fuir leur pays en raison d’un conflit.
«C’est à la fois notre contexte local et la situation internationale qui nous ont conduits à vouloir réfléchir et agir pour protéger ici les libertés universitaires dans le monde», a expliqué Valérie Amiraux.
Quand des régimes totalitaires briment les universitaires
Recruté pour être recteur de la réputée Université d’Europe centrale à Budapest, Michael Ignatieff ne s’attendait pas à ce que l’existence même de cet établissement soit menacée. C’est pourtant ce qui est arrivé lorsque le gouvernement ultraconservateur de Viktor Orbán, après avoir exigé la fermeture de programmes d’études sur le genre et tenté de contrôler certaines matières enseignées, a fait voter une loi qui a contraint M. Ignatieff à organiser, en pleine pandémie, le déménagement de son université à Vienne.
À plus de 4000 km de là, la chercheuse franco-iranienne Fariba Adelkhah est incarcérée à Téhéran, à la prison d’Evin. Arrêtée une première fois en juin 2019 sous des accusations d’espionnage, cette anthropologue, spécialiste de la société iranienne et directrice de recherche à Science Po à Paris, a été relâchée, bracelet électronique au poignet, en septembre 2020 avant d’être de nouveau emprisonnée en janvier dernier. Ruth Marshall, marraine du comité de soutien de la chercheuse, a souligné la difficulté de mener des travaux de recherche dans des contextes totalitaires, ajoutant que des enjeux tels que les régimes des démocraties libérales et la montée des populismes de droite requièrent aussi notre attention.
De l’importance de l’autodétermination des universités
Les universités sont parmi les plus anciennes institutions à se gouverner elles-mêmes. Tous les panélistes se sont entendus sur l’importance de l’autodétermination des universités dans des sociétés démocratiques. Et se sont accordés pour dire que le récent projet de loi no 32, mis de l’avant par le gouvernement du Québec, contrevient à ce principe d’autodétermination et d’autonomie.
Ce projet de loi, rappelons-le, entend paradoxalement obliger les établissements universitaires à protéger leur liberté d’expression. Comment un gouvernement pourrait-il imposer des règles à une université sans s’ingérer dans son fonctionnement? D’autant plus que «le facteur déclencheur de cette intervention législative n’est pas vraiment une préoccupation relativement à la liberté universitaire. C’est plutôt la crainte injustifiée, et montée en épingle, de la censure qui serait exercée par certains membres de la gauche identitaire amalgamés au mouvement Woke», a déclaré Daniel Jutras.
La liberté universitaire et la liberté d’expression ne sont pas identiques
«La liberté universitaire et la liberté d’expression ne sont pas la même chose, a pris soin de préciser Michael Ignatieff. La liberté d’expression n’assume aucune responsabilité quant à la vérité. Or, la vérité est la vocation de l’université. Notre rôle social est de vérifier et de valider le savoir et la connaissance dont la société a besoin si elle veut être bien gouvernée et prospère. Alors dans une université, on ne peut pas dire n’importe quoi. On doit parler sur la base d’une formation, d’une compétence. Quand une université invite des personnes de l’extérieur, elle doit choisir des personnes compétentes et dignes de leur fonction.»