Plaidoyer pour l’opéra du 21e siècle

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Si plusieurs détracteurs de l’opéra qualifient cet art de poussiéreux, la professeure en composition de l’UdeM Ana Sokolović explique qu’il est possible de créer des œuvres modernes.

Longtemps, l’opéra a semblé figé dans le temps. Les grandes maisons d’opéra basaient leur programmation sur la production d’œuvres existantes en puisant surtout dans le répertoire du romantisme du 19e siècle. Mais depuis les 20 dernières années, le vent semble avoir tourné: les établissements, tout comme le public, réclament des créations originales.

Or, composer un opéra requiert espace, temps et ressources, ce que les maisons n’ont pas nécessairement. Puis est née en 2022 la Chaire de recherche du Canada en création d'opéra pour offrir un cadre et des moyens associés à cette volonté de renouveler et de démocratiser l’opéra, mais aussi de l’affranchir de ses clichés.

«On souhaite créer un engouement pour l’opéra d’ici et de maintenant, mais surtout le rendre plus inclusif et évocateur pour un public du 21e siècle. Tout le monde devrait avoir accès aux opéras, à cette forte impression qu’ils laissent, à cette sensation unique que produit la voix humaine», s’enthousiasme Ana Sokolović, titulaire de la Chaire et professeure en composition à la Faculté de musique de l’Université de Montréal.

La Chaire est donc le terrain de jeu de cette compositrice qui s’est donné la mission de créer un nouveau genre opératique qui, dit-elle, ne serait pas perçu comme une «boîte hermétique et un peu vieillotte». Pour parvenir à adapter l’opéra à notre époque, elle table sur l’interdisciplinarité et les nouvelles technologies.

Modernes sur la forme et le fond

Par définition, l’opéra mobilise plusieurs disciplines artistiques: danse, chant, théâtre, littérature, musique, scénographie, etc. Pour son premier projet au sein de la Chaire, Ana Sokolović n’a pas lésiné sur cet aspect collaboratif.

L’artiste s’est associée à deux autres professeurs de l’UdeM, soit Olivier Asselin, du Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques, et Marie-Josèphe Vallée, de l’École de design, en plus de Diane Pavlović et Andrea Romaldi, de l’École nationale de théâtre du Canada, et de Sarah Bild, de l’École de danse contemporaine de Montréal.

Ensemble, ils ont encadré des étudiantes et des étudiants dans la création de miniopéras – d’une durée de 5 minutes – offerts en réalité virtuelle et augmentée. À l’été 2022, ces prototypes ont été développés en opéras de 15 minutes, puis ils seront intégrés à la programmation de l’Opéra de Montréal en 2024.

«Grâce aux nouvelles technologies, l’art peut être apprécié à la maison sur tablette ou sur téléphone intelligent, indique Ana Sokolović. Malgré le virtuel, les beautés et les forces de toutes les disciplines ne sont pas perdues. Le spectateur a autant le frisson que si la chanteuse était bel et bien à ses côtés.»

Mais il y a plus. Le modernisme de ces opéras ne s’incarne pas seulement dans leur forme, il s’exprime aussi dans les messages qu’ils véhiculent. Les équipes ont puisé dans l’émotion de leur contexte social contemporain pour explorer des sujets controversés, comme la mort récente d’un rorqual dans le Saint-Laurent, l’inéluctabilité des changements climatiques ou le périple incertain d’une réfugiée.

«Les compositeurs d’aujourd’hui vivent la même réalité que le public, remarque Mme Sokolović. Ils sont consternés par les mêmes nouvelles, respirent le même air assez pollué, ont les mêmes préoccupations pour l’avenir. Le monde évolue et cela a des répercussions importantes sur la création artistique. Après tout, l’opéra est, et a toujours été, une sorte de miroir de la société.»

Une démarche au confluent de deux mondes

Comme l’indique son nom, la chaire dirigée par Ana Sokolović ouvre le dialogue entre la recherche et la création en opéra.

Aux yeux de la professeure, ces deux volets sont intrinsèquement liés et s’influencent mutuellement. «En créant, certains problèmes et questions émergent et ouvrent la voie à des recherches nouvelles. Par exemple, est-ce que le fait de tourner un opéra ailleurs que sur une scène a un effet sur l’identité de l’opéra? Parallèlement, la recherche nourrit la création.»

La Chaire rallie donc le milieu universitaire et le milieu professionnel, et rassemble ainsi sous une même structure l’ensemble de la communauté opératique.

Certainement de quoi redonner ses lettres de noblesse à la vie lyrique de Montréal, du Québec et du Canada.

  • Vieille illustration d'une caricature de chanteurs d'opéra, Prima donna, Prima tenore, Basso profundo, par Gustave Doré, Victorian 1860s

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