La recherche-création en littérature, «un parcours du combattant»

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La professeure Catherine Mavrikakis et la doctorante Martyna Katarzyna Kander, du Département des littératures de langue française, discutent des défis de la recherche-création en littérature.

D’aussi loin qu’elle se souvienne, et même avant l’âge où se forge la mémoire à long terme, Martyna Katarzyna Kander a toujours aimé raconter des histoires : à deux ans, elle obligeait ses proches à écouter les récits qu’elle inventait à l’aide de son grand livre illustré. Son grand-père maternel a aussi contribué à renforcer son imaginaire en l’initiant à la lecture à travers les ouvrages de l’écrivain écossais Robert Louis Balfour Stevenson (1850-1894) – auteur de nombreuses œuvres littéraires dont L’île au trésor et L’étrange cas du Dr Jekyll et de M. Hyde.

C’était dans sa Pologne natale, qui peinait à se sortir du joug communiste après la chute du mur de Berlin. À cinq ans, elle rejoint sa mère en Italie qui y a trouvé du travail; elle apprend une nouvelle langue et grandit entourée de livres. Lorsqu’elle atteint l’âge adulte, elle s’inscrit à l’Université Sapienza, à Rome, au département de langue et de littérature françaises.

Désireuse de poursuivre ses études et d’écrire un livre en parallèle, Martyna Katarzyna Kander est attirée par la scolarité de doctorat en recherche-création offerte à l’Université de Montréal. 

«Ni en Italie ni en France d’ailleurs il n’existait de programme de recherche-création en littérature française, sans compter que les professeurs-écrivains sont rares et peu accessibles aux étudiants, relate-t-elle. Ayant lu l’œuvre de Catherine Mavrikakis, j’ai voulu qu’elle devienne ma directrice de thèse. Me voici à Montréal depuis septembre 2019.»

Analyser la littérature caribéenne pour écrire un roman sur la mort

Martyna Katarzyna Kander a orienté son projet de recherche vers l’analyse de la littérature caribéenne, sous l’angle de la thanatographie ou les récits de la mort.

«Je m’interroge sur la façon dont le discours sur la mort prend forme sous la plume d’auteurs entre autres mexicains, haïtiens et d’autres pays des Antilles, explique la doctorante. Ils ont une façon d’intégrer des personnages décédés dans leurs récits et de les faire vivre à travers leur présence et leur absence dans une forme de réalisme magique qui est moins présent dans la littérature occidentale, où il existe une tradition d’opposition entre la vie et la mort.»

S’inspirant des choix stylistiques des œuvres qu’elle analyse, Martyna Katarzyna Kander s’est ainsi lancée dans la rédaction d’un roman qui sera axé sur le rapport anthropologique qu’entretient la société italienne avec ses morts, en superposant le rationnel et l’irrationnel.

Rédiger l’équivalent de deux thèses

Mais plancher à la fois sur l’analyse de la littérature caribéenne et sur la rédaction d’un roman s’avère un véritable parcours du combattant.

«Mener une recherche et créer en même temps comporte de nombreuses contraintes, confie la jeune femme. Il faut travailler en double, écrire l’équivalent de deux thèses à l’intérieur des mêmes contraintes pédagogiques et financières. Oui, c’est un parcours difficile et très engageant… mais c’est une expérience magnifique!»

Vantant la détermination de son étudiante et la beauté de ses écrits, Catherine Mavrikakis fait valoir que, dans les universités québécoises, l’obtention d’un doctorat en recherche-création en littérature repose davantage sur la qualité de la recherche que sur la création.

«La pensée de l’artiste, de l’œuvre et de ses effets est au cœur de toute recherche-création: en musique ou en études théâtrales, par exemple, on étudie aussi l’interprétation, rappelle la professeure. On analyse les œuvres en tant qu’objets porteurs de savoir, bien sûr, mais on se penche sur les méthodes qu’ont employées les artistes pour les engendrer et sur la réception possible des œuvres par le public. La question de l’affect peut être alors centrale, ce qui n’est pas le cas en littérature, où l’on a souvent eu un rapport qui se voulait très scientifique à l’œuvre, tandis que la création littéraire relève d’une tout autre méthodologie.»

La recherche-création en littérature: une lutte de longue haleine

Selon Catherine Mavrikakis, les jurys universitaires en littérature devront tendre à accepter «les travaux qui font un véritable lien – en une seule thèse! – entre la recherche et la création… et l’on n’y est pas encore tout à fait».

«La recherche-création n’est pas une mode, mais une lutte menée par le corps professoral en création qui se bat pour qu’il y ait moins de résistance au sein même du domaine qu’est la littérature et pour qu’il y ait plus de place pour la création dans les séminaires de doctorat en méthodologie, insiste-t-elle. Cette lutte est saine, car il ne va pas de soi de concevoir que la recherche est création et que la création est recherche. C’est un chemin qui prend du temps, un véritable chemin de croix, même pour moi!»

S’il y a loin de la coupe aux lèvres, le présent laisse néanmoins présager des lendemains fructueux.

«Il y a des milliers de façons d’avoir le projet d’une œuvre, comme l’ont fait les doctorants Kevin Lambert et Maxime Raymond Bock et comme s’y applique Martyna, conclut Catherine Mavrikakis. Je ne sais pas si l’on parviendra à véritablement combiner la création et la recherche en littérature, mais les étudiantes et les étudiants ainsi que les jeunes professeurs et professeures vont faire évoluer la discipline.»

  • La professeure Catherine Mavrikakis et la doctorante Martyna Katarzyna Kander, du Département des littératures de langue française

    Crédit : Amélie Philibert | Université de Montréal