Des greffés et des donneurs d’organes se racontent

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La Chaire McConnell-Université de Montréal en recherche-création sur les récits du don et de la vie en contexte de soins propose des ateliers d’écriture.

«Cette femme qui a eu, il y a quelques jours, une greffe de poumons, c’est moi. Je suis en train de me régénérer avant de reprendre le chemin de la sortie, celui vers ma nouvelle vie», écrit Catherine Labelle, greffée des poumons, dans un atelier d’écriture proposé par la Chaire McConnell-Université de Montréal en recherche-création sur les récits du don et de la vie en contexte de soins.

Comme elle, d’autres personnes ayant subi une greffe de poumons, de rein ou de foie ainsi que des donneurs de rein ont mis en forme leur expérience si particulière en étant accompagnés par des membres de la Chaire et différents artistes: écrivains, scénaristes, poètes, bédéistes, marionnettistes et comédiens.

Faire le récit d’histoires incroyables

«J’avais ce désir de faire dialoguer médecine et littérature autour de la notion de soins», affirme Marie-Chantal Fortin, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal et à la Faculté de médecine de l’UdeM. Cette néphrologue de l’équipe de transplantation rénale du Centre hospitalier de l’Université de Montréal a entendu les histoires incroyables de ses patients et a souhaité qu’ils puissent les partager dans un cadre sécuritaire.

C’est Simon Harel, professeur au Département de littératures et de langues du monde de l’UdeM, spécialiste des récits personnels de communautés précarisées et vulnérables, qui a favorisé la rencontre de la Dre Fortin et de Catherine Mavrikakis, auteure et professeure au Département des littératures de langue française. Ils ont créé cette chaire qui se concentre sur l’importance du soin par le biais de la création. «Quel est le rôle du récit du patient? Dans quelle mesure les patients peuvent-ils créer à partir de leur propre histoire vécue sans être exclusivement dans une logique de témoignage?» se sont-ils demandé.

Raconter son histoire avec une distance

Différents ateliers d’écriture ont eu lieu de septembre 2020 à mai 2021. Les participants et participantes ont travaillé sur des romans graphiques, des bandes dessinées, des contes et dans les domaines du son et de la danse. «Ces ateliers avaient pour objectif de permettre à ces personnes d’être elles-mêmes tout en s'émancipant au moyen de la fiction. Le but était de créer quelque chose qui n’allait pas uniquement être le poids de la réalité douloureuse, de l’expérience difficile de la dialyse, de l’attente de l’organe salvateur, mais qui le dépasse grâce à l’écriture», explique Simon Harel.

Par exemple, Paul Cormier, qui a reçu un rein, a imaginé que son organe est devenu une personne autonome et il lui donne la parole dans le récit Conversation du rein: «Il y a eu comme une lumière autour de moi. Vertige. Je m’envole pour atterrir sur une masse froide, non, glacée. Je me recroqueville pour conserver ma chaleur. J’ai dû perdre connaissance. On s’active autour de moi, dans un cliquetis d’instruments. Le vertige me reprend. On me manipule, on me place, on me replace. Après encore d’autres picotements, je sens une chaleur s’infuser tout doucement en moi, un sang nouveau me baigner d’un goût différent, un nouveau pouiche-pouiche battre la mesure. Ton sang me réchauffe.»

Un partage avec le groupe

Les ateliers ont toujours lieu en deux séances distinctes avec une pause permettant de poursuivre le travail de création chez soi. À la deuxième séance, tous se retrouvent et peuvent partager leurs expériences si particulières en toute sécurité.

Ainsi, André Charbonneau, qui a donné un rein à sa conjointe, a pu remonter, grâce à la fiction, au moment qui a précédé le don et le partager avec le groupe dans La question d’Elsie: «Le jour avant la transplantation, en me rendant à l’hôpital, j’ai eu un petit moment difficile dans l’auto. Une peur bleu marine s’est emparée de mon corps. J’ai fait semblant de rien et je pense que mon chauffeur n’a rien remarqué. J’ai même pensé ne pas pouvoir continuer. Mais je me suis apaisé et ma confiance en la générosité des gens qui prendraient soin de moi le lendemain est revenue. J’ai fait confiance à l’évolution de la science, et j’ai aussi serré fort une petite médaille dans le fond de ma poche: c’est ma maman à moi qui me l’avait donnée un peu avant de mourir. Puis, j’ai pensé à la lumière des beaux yeux de ta mamie et là, tout est devenu calme.»

La fiction permet alors de se réapproprier son histoire et de pouvoir la rejouer devant d’autres. «Le groupe acquiert une importance fondamentale comme noyau qui contient des expériences riches en émotions. Pour toutes ces personnes qui ont connu des expériences douloureuses, ce noyau devient un élément de stabilisation et une source de mieux-être», mentionne Simon Harel.

Entre les participants et participantes, un sentiment de fidélité se développe alors. Une nouvelle communauté soudée par des récits imaginaires apparaît également.

Rétroaction des patients

Marie-Chantal Fortin évalue présentement ce projet auprès de ceux et celles qui ont pris part aux ateliers. «Pour la plupart, ce fut éprouvant et émotif. Cela dit, ils ont aimé la communauté de partage qui s’est créée. Elle a permis de normaliser et de relativiser leur vécu. Bien qu’une visée de la littérature soit d’exposer la singularité, l’adaptation des expériences de chacun a révélé un dénominateur commun à ce que vivent ces patients qui se retrouvaient dans ces créations littéraires», indique-t-elle.

Les trois titulaires de la Chaire demandent également à des patients qui n’ont pas participé aux ateliers de lire les différents récits sur le site Web du projet afin d’analyser leurs réactions: est-ce que ces créations les aident? Que leur disent-elles sur la transplantation? Le but: mener cette expérience humaine sur de nouveaux chemins.

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