Alex Noël: transformer la négativité en objet de beauté

Alex Noël

Alex Noël

Crédit : Amélie Philibert | Université de Montréal

En 5 secondes

L’écrivain Alex Noël arrive à l’UdeM à titre de professeur de littérature. Ce chercheur sur le roman moderne québécois et la mémoire queer va notamment donner des cours de littérature québécoise.

Alex Noël s’est intéressé très jeune aux lettres. «J'avais l'impression que tous mes autres champs d'intérêt se retrouvaient dans la littérature: l'histoire, la philosophie, la politique peuvent être présentes dans les livres. J’avais le sentiment qu'en choisissant la littérature je ne renonçais ainsi à rien», affirme celui qui est nouvellement professeur au Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal.

Sa participation au jury du prix Goncourt des lycéens lorsqu’il était au cégep a également suscité sa vocation pour l’enseignement de la littérature, la recherche et la création. «On était une délégation d'étudiantes et d’étudiants partis en France pour délibérer sur 13 livres. Cette expérience m'a énormément marqué. On analysait les livres pour mettre de l'avant différentes caractéristiques, les situer dans l'histoire de la littérature par rapport à d'autres auteurs et j'ai eu un coup de cœur pour l’exercice», se souvient-il.

Un écrivain primé

Trois fois finaliste du Prix de poésie de Radio-Canada, Alex Noël a remporté le Prix du jeune écrivain de langue française en 2016 pour une nouvelle publiée en France ainsi que le Prix d’excellence de la Société de développement des périodiques culturels québécois pour trois reportages littéraires, dont l’un sur les ex-couturières de l’entreprise Fruit of the Loom. Il a également publié d’autres textes de création dans les revues Liberté, Spirale, Mœbius et Beside.

Enseigner avec passion la littérature

Cet automne, Alex Noël donne un cours obligatoire sur les bases de l'analyse textuelle destiné aux étudiants et étudiantes qui arrivent du cégep. «Les jeunes doivent lire 12 livres. On étudie différents textes pour avoir le plus large éventail possible d'outils qui puissent leur être utiles dans le reste de leur parcours. C'est un cours que je suis particulièrement content de donner. Avant d'enseigner à l'université, j'ai enseigné environ trois ans au collégial, j’ai ainsi l'impression d'accueillir à l'UdeM ceux et celles que j'ai quittés au cégep!» dit-il.

Alex Noël a également assumé, juste après sa maîtrise, une charge de cours en littérature québécoise à l'Université Jawaharlal-Nehru à New Delhi à l'hiver 2014. Il donnera de nouveau un cours de littérature québécoise la session prochaine à l’UdeM, cette fois sur la littérature québécoise des 20e et 21e siècles dans son rapport à la négativité.

La négativité, trait d’union dans la littérature québécoise

Lorsqu’Alex Noël est parti enseigner la littérature québécoise en Inde, on lui a indiqué, avant de commencer son cours, qu’il devait avoir un fil conducteur pour son séminaire. Qu’est-ce qui peut lier l’ensemble des œuvres de la littérature québécoise? s’est alors demandé le jeune homme qui venait tout juste d’achever sa maîtrise. Il a repris les livres québécois qu’il avait entassés dans sa valise et a relu les premières phrases du Torrent, d’Anne Hébert: «J’étais un enfant dépossédé du monde. Par le décret d’une volonté antérieure à la mienne, je devais renoncer à toute possession en cette vie.» Ces phrases ont allumé une étincelle: c’est précisément la dépossession existentielle qui caractérise cette nouvelle ainsi que l’ensemble du recueil et toute l’œuvre d’Anne Hébert. Une singularité qu’Alex Noël voit également dans une large part de la littérature québécoise.

Ainsi, aux yeux de la critique, la forme de certains romans québécois est perçue comme dépossédée de certaines de ses composantes essentielles. «La critique désignait des composantes constitutives du genre romanesque tels l'amour, l'aventure, la transformation, la maturité. Puis, elle déclarait qu’une de ces caractéristiques était manquante, comme s’il y avait là une carence ou une sorte d’incapacité romanesque. C’est comme si la forme elle-même était dépossédée en même temps qu'elle racontait la dépossession, comme si elle avait une équivalence formelle et thématique», dit Alex Noël.

Les romans de Marie-Claire Blais sont par exemple très sombres, elle y décrit notamment la Grande Noirceur. «Ce qu'elle dit du Québec est épouvantable. En même temps, elle le transforme paradoxalement en objet de beauté», mentionne le professeur.

Cette dépossession existentielle dans le roman québécois a été le sujet de thèse d’Alex Noël. Un sujet qu’il va enseigner au prochain trimestre. «Je vais inclure différentes formes de négativité. On va parler aussi d'exils, de ratages, d'aliénation, de racisme. On veut se concentrer sur l'exclusion, sur l'empêchement. Ce sont des mots qui ont été mis de l'avant par la critique au sujet de la littérature québécoise au fil des ans», explique-t-il.

Rendre hommage aux artistes québécois morts du sida

Alex Noël travaille également sur les artistes et les intellectuels québécois qui sont décédés du sida dans les années 1980 et 1990 et dont on ne sait que très peu de choses. Alors qu’en France plusieurs écrivains, tel Hervé Guibert, ont écrit sur le sujet, au Québec la mémoire du sida dans le domaine culturel a été très peu consignée. «On a beaucoup dit que la littérature québécoise était dans l'irréalité, qu'elle avait une difficulté à se saisir du réel. Or, le sida est un choc assez brutal avec la réalité», observe Alex Noël.

Lorsqu’Alex Noël a commencé ses recherches, il connaissait seulement trois intellectuels ou artistes décédés du sida au Québec. Depuis, il en a recensé plus d’une trentaine. «J'ai par exemple retrouvé dans des fonds d'archives des recueils de poésie composés par de jeunes hommes morts du sida avant d'avoir eu le temps d’y mettre la touche finale, raconte-t-il. Ça m’a beaucoup troublé de découvrir le nom de tous ces gens-là disparus dans la vingtaine ou la trentaine qui n’ont jamais pu achever leur œuvre à cause de la maladie.»

Alex Noël a ainsi découvert un recueil de poèmes presque terminés du photographe Guy Fréchette. Il travaille à l’édition de ce manuscrit ainsi que sur un catalogue pour une exposition qui aura lieu en mai à Nantes sur ce sujet.

«C'est quand même étrange que, pour la poésie gaie québécoise, il y ait eu un creux entre une génération plus ancienne et la mienne, comme si, après les devanciers, le nombre de voix avait diminué avant de connaître une remontée dans les dernières années, remarque Alex Noël. Cela a eu beaucoup de conséquences sur les poètes de ma génération parce que c'est comme s’il y avait un héritage qui ne pouvait pas être reçu. J'ai toujours eu cette intuition que le sida avait joué un rôle là-dedans.»

Sur cette question, Alex Noël a interrogé plusieurs professeurs d’université plus âgés. «Ils m'ont parlé de ces jeunes hommes très frêles qui soudainement disparaissaient au milieu de la session et qu'on ne revoyait jamais parce qu’ils avaient été emportés par la maladie. Cela s’est déroulé dans différentes universités, mais on n’en a conservé aucune mémoire. En en étant conscient maintenant, je me sens un certain devoir mémoriel», dit-il.

Ainsi, Alex Noël a notamment organisé un cycle de conférences sur la mémoire queer à l’UdeM pour mettre en valeur les archives LGBTQ2S+. Le 26 septembre s’est tenue une table ronde avec les Sœurs de la perpétuelle indulgence de Montréal, qui ne sont pas une congrégation religieuse catholique, mais des drag queens qui font œuvre de charité, conservent des archives ainsi qu’une mémoire des luttes sociales et qui sont venues en aide aux proches et aux malades durant la pandémie du sida.