Des facteurs neurobiologiques en cause dans la toxicomanie

Crédit : Getty

En 5 secondes

Que se passe-t-il dans le cerveau des personnes souffrant de toxicomanie? Une méta-analyse en neuro-imagerie menée par le professeur Stéphane Potvin pointe des déficits neurobiologiques.

Les problèmes de consommation font partie des troubles psychiatriques les plus fréquents, avec un taux de prévalence à vie de 10 à 15 %. C’est sans compter les risques qu’ils peuvent provoquer: conduite dangereuse, absentéisme au travail, dépression, anxiété, ennuis de santé, difficultés financières… Or, une sorte de «myopie» semble affecter l’esprit des personnes qui souffrent de toxicomanie, les incitant à consommer toujours plus pour trouver le plaisir ou faire taire les émotions négatives, peu importe les méfaits.

Alors que la recherche a clairement établi le rôle des facteurs psychosociaux et environnementaux dans l’apparition des troubles de consommation, de plus en plus d’études en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle mettent en relief l’importance des facteurs biologiques liés au système nerveux central.

«Leur influence peut atteindre 50 %. Ce chiffre étonnamment élevé justifie qu’on s’intéresse à ce qui se passe dans le cerveau des individus qui présentent un problème d’abus de substance», observe Stéphane Potvin, professeur titulaire au Département de psychiatrie et d’addictologie de l’Université de Montréal, dont les travaux portent principalement sur le rôle néfaste du cannabis et de l’alcool sur les structures du cerveau des personnes atteintes de schizophrénie.

Un tableau global en trois tendances

Stéphane Potvin

Stéphane Potvin

Crédit : CR-IUSMM

Pour en avoir le cœur net, le chercheur, qui coordonne les activités de l’axe Neurobiologie et santé mentale du Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal, a voulu désigner avec précision les marqueurs neurobiologiques associés à la toxicomanie. Avec son étudiant Jules R. Dugré, doctorant en sciences biomédicales, il a réalisé la synthèse quantitative de 96 études menées auprès de 5757 personnes ayant une dépendance à diverses substances ‒ alcool, nicotine, cannabis, psychostimulants, etc.

Sa méta-analyse porte non pas sur l’activité du cerveau, mais sur la connectivité fonctionnelle entre différentes régions du cerveau (c’est-à-dire la façon dont celles-ci communiquent entre elles). Jusqu’ici, aucune synthèse du genre n’avait été effectuée.

Les résultats, publiés récemment dans la revue Addiction Biology, révèlent des anomalies principalement pour ce qui est du système de récompense, des systèmes en jeu dans la prise de décision et des régions liées à la formation d'habitudes.

 

1.   Système de récompense

«Les personnes aux prises avec des problèmes de consommation présentent une hyperconnectivité entre certaines régions clés du système de récompense – le cortex préfrontal ventral médian et le stratum ventral. À long terme, ces anomalies pourraient expliquer pourquoi la substance gagne en valeur motivationnelle [gratification immédiate] au détriment des autres sphères de la vie», expose Stéphane Potvin.

 

2.   Prise de décision

«On remarque aussi une connectivité réduite entre certaines régions activées dans la prise de décision – comme le cortex préfrontal et l’amygdale. Ce genre de résultat est cohérent avec le fait que des individus toxicomanes peuvent afficher une sorte d’indifférence par rapport aux conséquences néfastes de leurs choix», poursuit le chercheur.

 

3.   Formation d’habitudes et compulsion

Le résultat le plus original concerne les anomalies observées à l’échelle des régions associées à la formation d’habitudes, soit le stratum dorsal et le cortex prémoteur. «L’hyperconnectivité pourrait expliquer l’aspect compulsif de la consommation», dit Stéphane Potvin.

Dans cette synthèse, l’équipe n’a pas observé d’altérations dans les régions et réseaux qui agissent sur le contrôle des impulsions. Mais des travaux antérieurs, réalisés avec d’autres types d’approches en neuro-imagerie, ont montré des anomalies dans ces régions.

Le neurobiologiste insiste du même coup sur les limites de sa synthèse. «On s’est concentrés sur les gens qui ont un problème de consommation, quel qu’il soit. Est-ce que les systèmes du cerveau sont également touchés par les différentes substances? Ça reste à voir», mentionne-t-il.

Rapprocher la neuro-imagerie de la clinique

Ultimement, ces découvertes visent à guider les interventions basées sur les techniques de neuromodulation dans le champ de la toxicomanie.

«Une meilleure compréhension des systèmes en jeu dans les troubles de consommation permettra de mieux cibler les régions du cerveau à stimuler ou à inhiber afin de recréer un équilibre dans le cerveau et de changer le comportement des consommateurs. Plus nous disposerons de données probantes, plus les milieux cliniques seront intéressés par l’équipement pour procéder à ce type d'intervention», conclut Stéphane Potvin.

Sur le même sujet

psychiatrie neurosciences recherche