Quels facteurs influencent l’apprentissage de la peur chez les enfants?

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Une étude révèle que les enfants ayant une forte concordance physiologique et une relation d’attachement insécurisante avec leurs parents sont plus susceptibles d’éprouver des peurs en les observant.

Plusieurs peurs naissent durant l’enfance. Et la littérature scientifique est assez claire à ce sujet: l’apprentissage de la peur par observation est courant chez les enfants, qui prennent surtout comme modèles leurs parents et apprennent à avoir peur d’un stimulus sans en avoir personnellement fait l’expérience aversive. Par exemple, un enfant peut avoir peur des chats parce qu’il a vu sa mère se faire mordre par un chat.

Une nouvelle étude vient préciser les facteurs qui favorisent cet apprentissage de la peur par observation chez les enfants.

L’étude a été menée par Alexe Bilodeau-Houle dans le cadre de son projet de maîtrise dirigé par Marie-France Marin, professeure associée au Département de psychiatrie et d’addictologie de l’Université de Montréal et chercheuse au Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal.

Les résultats révèlent que l’attachement et la concordance physiologique jouent un rôle dans l’apprentissage de la peur par observation. Plus précisément, les enfants qui ont une relation d’attachement moins sécurisante et une concordance physiologique élevée avec leurs parents sont plus susceptibles de ressentir de la peur face à des stimulus qui déclenchent des réactions de peur chez leurs parents.

Par «concordance physiologique», on entend la simultanéité des signaux physiologiques – battements cardiaques, sudation, etc. – de deux individus qui sont en interaction rapprochée, un phénomène fréquemment observé entre les enfants et leurs parents, mais aussi entre deux partenaires amoureux.

Synchroniser sa peur

Alexe Bilodeau-Houle

Alexe Bilodeau-Houle

Pour arriver à ces résultats, 84 dyades parent-enfant se sont prêtées au jeu. D’abord, les parents ont été filmés pendant qu’ils étaient exposés à un protocole de conditionnement de la peur, où l’apparition d’une couleur (bleu) était associée à un très léger choc électrique alors qu’une autre couleur (jaune) ne l’était pas.

Les enfants ont ensuite regardé l’enregistrement de cette séance (phase d’apprentissage par observation) avant d’être soumis au même test que les parents, sans bien sûr recevoir de décharge électrique à l’apparition de la couleur bleue. Tout au long de l’expérience, l’activité électrodermale (c’est-à-dire la sudation de la peau) a été enregistrée tant chez les parents que chez les enfants, puisque la transpiration est un indice de peur.

Un questionnaire rempli par les enfants a permis d’évaluer leur relation d’attachement au parent. Pour mesurer la concordance physiologique entre le parent et l’enfant, l’équipe a comparé les courbes associées à l’activité électrodermale du parent pendant le conditionnement de la peur avec celles de l’enfant pendant la phase d’apprentissage par observation.

«Plus le parent et l’enfant montraient des réactions physiologiques synchronisées, plus grande était la peur chez l’enfant quand venait son tour de faire l’expérience. Mais seulement lorsque la relation était insécurisante avec le parent, autrement la concordance physiologique ne semblait pas influer sur l’apprentissage de la peur», précise Alexe Bilodeau-Houle.

À ce chapitre, la chercheuse ajoute que, dans les dyades parent-enfant, la concordance physiologique est essentielle pour la régulation des émotions de l’enfant. Elle peut varier selon la relation d’attachement et peut être liée à différentes conséquences développementales chez l’enfant en fonction du contexte familial. Par exemple, dans un contexte familial sain, une forte concordance physiologique parent-enfant est associée à de meilleures capacités d’autorégulation chez l’enfant, alors que cette association n’est pas nécessairement présente dans les familles dysfonctionnelles.

«Selon nos résultats, on peut penser qu’un enfant qui est fortement synchronisé avec son parent dans le contexte d’une relation d’attachement insécurisante avec ce dernier pourrait être plus susceptible d’apprendre la peur en observant son parent», dit la chercheuse.

La relation d’attachement avec les parents peut aussi influencer la peur chez les enfants. «Les systèmes d’attachement et de détection des menaces sont intimement liés, indique-t-elle. Lorsque les enfants sont confrontés à une menace, leur système d’attachement est activé. Cette activation les pousse à se rapprocher de la personne qui s’occupe d’eux, qui leur sert de protecteur et les aidera à maîtriser leur peur.»

Ainsi, les enfants qui ont une relation peu sécurisante avec leurs parents ont tendance à avoir des niveaux de peur physiologique plus élevés lorsqu’on leur présente des stimulus liés à une menace.

Un indicateur de psychopathologies?

Le protocole d’Alexe Bilodeau-Houle a été testé auprès de familles ne présentant aucune pathologie. Toutefois, son équipe et elle s’intéressent également à l’apprentissage de la peur par observation chez les enfants dont les parents ont été victimes d’un évènement traumatique qui a pu entraîner des symptômes anxieux ou post-traumatiques.

«Les enfants dont un ou les deux parents vivent avec un de ces troubles sont plus à risque de souffrir de ce type de pathologie à leur tour, note la chercheuse. Mais il reste à savoir si l’apprentissage de la peur par observation peut contribuer à l’apparition de psychopathologies liées à la peur chez ces enfants. Une étude longitudinale pourrait nous renseigner à cet effet, mais il faut toutefois garder en tête que l’apprentissage de la peur est un mécanisme adaptatif.»

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