Séismes en Turquie: une tragédie prévisible et déplorable, selon la doctorante Fatma Özdoğan
- UdeMNouvelles
Le 16 février 2023
- Martin LaSalle
Architecte et doctorante à l’UdeM, Fatma Özdoğan espère que ses recherches en reconstruction postcatastrophe permettront d’éviter les tragédies comme celle survenue en Turquie, son pays d’origine.
État de choc, tristesse et profonde colère…
C’est ce par quoi est passée Fatma Özdoğan à la suite des séismes successifs survenus en Turquie le 6 février et qui ont officiellement fait plus de 35 000 victimes dans les 10 villes touchées par la catastrophe.
Triste ironie du sort, l’étudiante d’origine turque est arrivée en janvier pour amorcer un doctorat à la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal sur l’analyse de la gestion des catastrophes et la reconstruction postcatastrophe, à peine quelques semaines avant la tragédie.
Une région à risque de séismes
Ceinturée par deux grandes failles tectoniques (nord-anatolienne et est-anatolienne), la Turquie est fréquemment frappée par des tremblements de terre ainsi que par les inondations et les glissements de terrain qui en résultent.
De fait, au cours des 50 dernières années, pas moins de 110 séismes d’importance sont survenus dans ce pays de 85 millions d’habitants.
Parmi les plus mortels, mentionnons celui de 1999 dans le nord-ouest du pays (dans la région de Marmara, où se trouve Istanbul), qui a tué 17 000 personnes; celui de Van, en 2011, qui a fait plus de 600 morts; et, plus récemment, le séisme d’İzmir, en 2020, qui a fait 117 victimes.
«À la suite du tremblement de terre de 1999, de grandes leçons ont été tirées en termes d’ingénierie, d’architecture et d’urbanisme, souligne Fatma Özdoğan. Le gouvernement a resserré les règles de construction en plus de créer l’AFAD, l'autorité responsable du système de gestion des catastrophes du pays.»
Puis, après le séisme de 2011, la loi sur la transformation urbaine est entrée en vigueur. «Cette loi aurait eu beaucoup de succès si elle avait pu être mise en œuvre dans toutes les villes, mais ça n’a pas été le cas», déplore l’architecte de formation.
De sorte qu’aujourd’hui on estime que les deux tiers du parc immobilier turc ne sont pas en mesure de résister à un tremblement de terre.
Des catastrophes prévisibles et évitables
Selon Fatma Özdoğan, il n’y a pas suffisamment d’inspections des travaux de construction en Turquie, «l’industrie étant laissée aux mains des entrepreneurs, qui utilisent des matériaux de mauvaise qualité et une main-d’œuvre mal formée».
Elle dénonce du même souffle l’influence politique dans l’industrie de la construction: «La situation que nous voyons actuellement est le résultat d’un processus politique qui dure depuis 20 ans, soit les amnisties de zonage qui pardonnent et avalisent des bâtiments construits par des gens qui n’ont pas fait appel à des architectes et des à ingénieurs d’expérience.»
Par ailleurs, elle relève que la qualité de l’enseignement universitaire en architecture et en ingénierie du bâtiment est discutable, notamment en raison du manque de professeurs qualifiés. «En Turquie, l’enseignement dans ces domaines devrait se situer à un niveau supérieur et une littérature commune devrait être créée afin que les étudiantes et étudiants aient les mêmes connaissances au moment d’obtenir leur diplôme», insiste-t-elle.
Plus encore, «chaque architecte et chaque ingénieur diplômés du premier cycle en Turquie ont le pouvoir d’approuver des projets et il n’y a pas de processus de qualification professionnelle, ce qui augmente le risque que ces jeunes collègues inexpérimentés fassent des erreurs», ajoute Fatma Özdoğan.
Mieux prévenir en Turquie et ailleurs dans le monde
Après avoir commencé ses études universitaires à l’âge de 17 ans, Fatma Özdoğan a obtenu son baccalauréat en architecture à l’école d’ingénierie Yıldız Teknik, à Istanbul.
Elle a ensuite fait une maîtrise en développement et pratiques d'urgence à l'Université d’Oxford Brookes, au Royaume-Uni. Son mémoire portait sur les conséquences, dans les grandes villes turques, de l’immigration qui découle des catastrophes naturelles et du conflit en Syrie. Elle a aussi effectué des mandats de recherche en Colombie, au Liban et en France, où elle a appris le français.
Puis, elle a travaillé en Turquie, en Azerbaïdjan et au Qatar, où elle a supervisé la construction du stade Al-Thumama en vue de la coupe du monde de soccer de 2022.
Désireuse de se joindre à l’équipe de l'Observatoire universitaire de la vulnérabilité, de la résilience et de la reconstruction durable, Fatma Özdoğan a amorcé, en janvier, son doctorat à l’UdeM sous la direction du professeur Gonzalo Lizarralde. Elle veut contribuer aux travaux du groupe de recherche en y partageant les leçons de la Turquie.
«Je m’intéresse particulièrement à la gestion des catastrophes et à la reconstruction des villes qui les subissent, entre autres par l’analyse de la relation entre la façon dont un pays organise ses interventions et les étapes de reconstruction qui s’ensuivent, précise la doctorante. Mes travaux visent à comprendre les besoins des collectivités et à proposer des solutions durables pour combler les écarts entre les besoins et les services fournis.»
«Par-dessus tout, je souhaite que ma recherche contribue à éviter que des tragédies comme celles survenues dans mon pays se produisent de nouveau, que ce soit en Turquie ou dans d’autres régions du monde à risque de catastrophes. Avec les changements climatiques et les populations qui augmentent dans toutes les grandes villes sur la planète, la recherche en gestion du risque permettra de mieux se préparer et de mieux intervenir», conclut Fatma Özdoğan.