L’art de faire la guerre sans être militaire: l’Ukraine sous la loupe de Gabrielle Joni Verreault

Gabrielle Joni Verreault dans une zone de combat abandonnée de la région de Kherson

Gabrielle Joni Verreault dans une zone de combat abandonnée de la région de Kherson

Crédit : Gabrielle Joni Verreault

En 5 secondes

La doctorante en bioéthique Gabrielle Joni Verreault effectue un séjour en Ukraine où elle documente le recours, par des civils, aux outils technologiques pour participer au conflit contre la Russie.

Le conflit en Ukraine ne se déroule pas que sur le terrain et les militaires ne sont pas les seuls à tenter de repousser l’ennemi: de nombreux civils contribuent aussi à l’effort de guerre en utilisant différents outils technologiques et de communication pour contrer la propagande et les attaques informatiques guidées par le Kremlin.

Cette résistance civile ukrainienne prend la forme d’activités à caractère quasi militaire mais sans statut précis, et sans que les personnes qui y prennent part soient au fait des implications éthiques de leurs actions et des responsabilités qui en découlent.

Afin de documenter les motivations de ces agents civils, Gabrielle Joni Verreault est partie en Ukraine le 12 janvier pour effectuer une étude ethnographique préterrain dans le cadre de son projet de doctorat en bioéthique mené sous la direction du professeur Bryn Williams-Jones, de l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

Son projet s’intitule «Game of Drones et Lord of the Memes: éthique autorégulée dans la guerre technologique contre la Russie à laquelle participent des civils ukrainiens».

Un troisième séjour en Ukraine

Livraison d'un premier lot d'ordinateurs portables à l'Université technique nationale de Kherson, déplacée dans la ville de Khmelnytskyï.

Crédit : Gabrielle Joni Verreault

La doctorante a depuis un bon moment un intérêt marqué pour l’Ukraine, d’où est originaire son compagnon de vie, Valentin Kravtchenko, aussi étudiant en bioéthique.

Elle y est allée une première fois peu après le début du conflit, en mai 2022, pour aider deux organisations humanitaires. Passant par la Pologne, elle a prêté main-forte à la Fédération nationale ukrainienne du Canada, qui venait en aide aux réfugiés ukrainiens dans leurs démarches d’immigration vers le Canada. Elle a aussi participé à l’envoi de médicaments du Québec jusqu’à Kyiv, qui transitaient par Varsovie, pour l’organisme Collaboration santé internationale.

Grâce aux nombreux contacts qu’elle a pu établir au cours de ce premier séjour, elle a eu l’idée d’élaborer un protocole de recherche pour sonder les motivations des personnes qui contribuent à la résistance civile ukrainienne. Elle est retournée en Ukraine en novembre dernier pour amorcer son étude préterrain.

En débarquant à Kyiv pour son troisième séjour, elle et son conjoint transportaient 12 ordinateurs dans leurs bagages afin de les offrir à des étudiants et des étudiantes de l’Université technique nationale de Kherson qui ont dû quitter la ville – assiégée pendant huit mois – pour poursuivre leurs études à Khmelnytskyï, au nord du pays.

Sonder les motivations des civils à participer à la guerre

Gabrielle Joni Verreault, Ivan Karaman, Viktor Andreevich et Tetiana Vasylivna lors de la livraison de médicaments au village de Borozens'ke, dans la région de Kherson.

Crédit : Photo de courtoisie

Les nombreuses relations qu’elle a nouées au fil de ses trois séjours permettent désormais à Gabrielle Joni Verreault de recueillir les témoignages de plusieurs personnes qui prennent part à la résistance et qu’elle classe en trois groupes.

«Il y a d’abord les gens qui modifient les drones commerciaux en fabriquant des modules à l’aide d’imprimantes 3D, ce qui leur permet de livrer de la nourriture et des armes aux soldats ukrainiens», énumère-t-elle.

«Ensuite, il y a les membres du groupe informel NAFO [North Atlantic Fellas Organization] – en référence à l’OTAN –, qui créent des “mèmes” afin de lutter contre la propagande et la désinformation russe à partir de 26 pays. Et enfin, je m’intéresse aux pirates informatiques ukrainiens qui font la guerre à la Russie en agissant comme une police du Web pour contrer les attaques informatiques contre les installations gouvernementales de l’Ukraine», poursuit-elle.

Aussi, d’ici à ce qu’elle rentre au pays à la fin du printemps, elle souhaite scruter les motivations des personnes venant de l’étranger qui investissent leurs propres ressources dans cette guerre.

Vers un «manifeste de la guerre démocratisée»

Gabrielle Joni Verreault avec un chat, près du refuge pour animaux créé par Anna Kurkurina, lors d'une de ses sorties.

Crédit : Photo de coutoisie

Selon Gabrielle Joni Verreault, «les technologies modernes ont démocratisé la participation à la guerre et ce qui se passe en Ukraine est un exemple de ce qu’on verra dans les conflits armés à l’avenir: de plus en plus de civils qui participent à la guerre en soutien aux militaires», dit-elle.

Aussi souhaite-t-elle que la thèse qu’elle rédigera puisse un jour prendre la forme d’un manifeste «afin que ces civils, de même que les militaires, fassent les choses dans les règles de l’art et coopèrent en se conformant à une certaine éthique».

D’ici là, on peut suivre ses activités et aventures à travers l’infolettre qu’elle publie sous le titre Moral Compass ainsi que sur sa chaîne YouTube.

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