D’hier à aujourd’hui, ça milite sur les campus
- Revue Les diplômés
Le 28 avril 2023
- Béatrice St-Cyr-Leroux
Le militantisme étudiant est en continuelle transformation, mais il demeure présent. Coup d’œil sur son évolution.
Les universités québécoises ont toujours été de hauts lieux du militantisme.
À l’Université de Montréal, c’est en 1956 que se tenait la toute première grève étudiante. À l’époque, les luttes étudiantes concernaient surtout l’accessibilité aux études supérieures pour les francophones. Souvent issue de milieux catholiques défavorisés, cette majorité réclamait des études universitaires abordables et en français pour ultimement s’affranchir de la domination des anglophones sur le marché du travail.
Au-delà de l’héritage historique, d’un point de vue structurel, les universités ont favorisé la naissance du militantisme. Depuis les années 1980, les associations étudiantes québécoises sont reconnues et encadrées par la Loi sur l’accréditation et le financement des associations d’élèves ou d’étudiants. Cette loi leur assure certaines ressources financières, matérielles et intellectuelles.
«Grâce à cette loi, s’engager socialement est plus à la portée de la communauté étudiante que des autres membres de la société, d’autant plus que les universités mettent en contact plusieurs personnes et que le statut d’étudiant offre une “disponibilité biographique” à l’engagement», croit Pascale Dufour, professeure au Département de science politique de l’Université de Montréal et spécialiste des mouvements sociaux.
Si le militantisme et les études supérieures semblent depuis toujours intimement liés, la teneur de l’action collective étudiante, elle, n’est pas figée dans le temps.
Du «nous » au «je»
Comparer le militantisme étudiant des années 1960 avec celui d’aujourd’hui mène à constater une montée de l’individualisation, pense Jacques Hamel, professeur nouvellement retraité du Département de sociologie de l’UdeM et spécialiste de la jeunesse. En sociologie, ce concept n’est pas synonyme d’égoïsme, il se définit plutôt par une tendance à vouloir agir par soi-même, à chercher à se soustraire aux contraintes des institutions sociales.
«Autrefois, l’idée d’un Québec francophone ralliait l’ensemble des militants sous une même bannière, avance-t-il. Tout le monde y trouvait quelque chose: le désir de s’émanciper du pouvoir anglophone et de l’infériorité économique, de quitter la ruralité, etc. Mais aujourd’hui, les causes semblent beaucoup plus individualisées et fragmentées. L’engagement se présente plutôt comme un menu à la carte; on milite pour une foule de raisons qu’on choisit personnellement.»
Toujours selon le sociologue, dans cette période d’individualisation, la communauté étudiante accorde moins d’importance aux associations étudiantes qui, avant, jouaient un rôle fondamental dans l’organisation et la canalisation des luttes. «Le dénominateur commun qu’étaient les associations étudiantes est moins flagrant de nos jours», ajoute-t-il.
Et cette réalité serait aussi exacerbée par l’enseignement à distance et le fait que les étudiants et étudiantes vivent de moins en moins sur les campus, «ce qui crée une désaffection à l’égard des associations, qui peinent à réunir leurs troupes», note Jacques Hamel.
Du souverainisme à la crise climatique
Les formes de militantisme étudiant ont donc évolué, tout comme les causes défendues. Pascale Dufour le rappelle: avant 2015, les revendications premières des mouvements étudiants concernaient presque essentiellement la condition étudiante: accessibilité des études, gratuité scolaire, gel des droits de scolarité, amélioration des bourses, rémunération des stages.
Puis, 2015 ouvre une ère d’austérité qui entraîne la création de coalitions formées d’acteurs extérieurs aux universités, notamment des organisations communautaires et syndicales. En parallèle se créent aussi plusieurs collectifs se dissociant des associations étudiantes institutionnalisées, comme la Coalition étudiante pour un virage environnemental et social.
Aujourd’hui, ce sont justement les enjeux climatiques qui nourrissent le plus fortement les mouvements étudiants, talonnés par les luttes féministes, indique Pascale Dufour. Les étudiantes et les étudiants revendiquent le passage à l’action pour agir sur le dérèglement du climat et la perte massive de biodiversité, des causes qui touchent directement les jeunes générations.
«Je me pose tout de même une question: qui va s’occuper de la condition étudiante si ce sont les étudiants et étudiantes qui s’occupent de la planète? Cet enjeu est encore bien d’actualité, encore plus dans le contexte actuel d’inflation», lance la professeure.
Bref, les luttes étudiantes peuvent être uniques ou multiples, s’organiser sur les campus ou franchir les frontières universitaires, être axées sur l’univers étudiant ou englober la collectivité en général. Mais une chose semble certaine: elles joueront toujours un rôle important dans l’avancement de la société.