Quand Dany Laferrière plonge dans son encrier…

Dany Laferrière

Dany Laferrière

Crédit : Amélie Philibert | Université de Montréal

En 5 secondes

L’académicien et écrivain Dany Laferrière était de passage à l’Université de Montréal à l’occasion du 90e Congrès de l’Acfas, qui se déroule à l’UdeM du 8 au 12 mai.

«Écrire, c’est s’asseoir longtemps et observer… C’est tout le contraire de la distraction. Et la première qualité d’un écrivain… c’est d’avoir de bonnes fesses!»

Voilà l’une des leçons qu’a partagées l’écrivain et académicien Dany Laferrière à la conférence d’ouverture du 90e Congrès de l’Acfas, qui a attiré quelque 500 personnes venues l’entendre parler de son parcours de vie.

Ou du moins d’une partie de son parcours de vie: volubile à souhait, il a multiplié les anecdotes et les détours qui l’auront forcé à couper court à son récit en s’arrêtant aux premiers jours qui ont suivi son arrivée à Montréal en 1976. N’empêche, l’auditoire était suspendu à ses lèvres!

Il a ainsi raconté avoir d’abord appris à observer aux côtés de sa grand-mère, qui passait de longs moments assise avec sa cafetière devant sa maison à Petit-Goâve à écouter les gens pour ensuite «dessiner la géographie émotionnelle de la ville».

«Toute la ville défilait devant chez elle et les passants s’arrêtaient et se déliaient la langue, a-t-il relaté. J’étais assis à ses pieds et je la regardais retenir ce que les gens disaient pour ensuite devenir la narratrice d’un roman en organisant elle-même le jeu des dialogues.»

C’est ainsi que, de quatre à sept ans, Dany Laferrière a appris à écouter les autres et à absorber leurs paroles. Puis il a appris à lire et à tracer d’abord les lettres qui ont ensuite formé des mots et des phrases… «Je n’ai eu besoin que des 26 lettres de l’alphabet pour me sauver du monde», a-t-il imagé.

La liberté de rêver par l’écriture

Francis Gingras et Dany Laferrière

Francis Gingras, médiéviste et professeur au Département des littératures de langue française de l'UdeM, avec l'écrivain Dany Laferrière.

Crédit : Amélie Philibert | Université de Montréal

Celui qui a reçu de nombreuses distinctions, dont le prix Médicis en 2009 pour L’énigme du retour, a aussi fait l’apologie de la «liberté biographique qui vient avec l’art d’écrire» et du rêve qui permet une réinvention de soi.

«Nous rêvons tous naturellement, que ce soit en dormant ou en étant éveillé, et il nous faut faire beaucoup d’efforts pour entrer dans la lourde réalité, a-t-il dit. Mais dans le rêve – le vrai, celui du sommeil –, nous pouvons être et devenir tout [ce que nous voulons]», et c’est là qu’intervient la création.

Comme il le souligne d’ailleurs dans Tout ce qu’on ne te dira pas, Mongo, «on n’écrit pas pour rêver le monde, on voudrait que le monde ressemble à notre rêve».

Il a également expliqué comment cohabitent le mouvement et l’immobilité dans ses œuvres.

«Lorsque vous êtes assis, le mouvement vous entoure, c’est donc une fausse immobilité, car les énergies tournent autour de vous, a-t-il insisté. Dans mes livres, tous mes personnages sont en activité, sauf un, qui est immobile: il y a toujours le sédentaire et le nomade pour rappeler que le voyage de l’un n’a de sens que s’il peut être raconté à celui qui n’est jamais parti.»

Et il y a le voyage intérieur du sédentaire aussi, dont le mystère demeure impénétrable.

Répéter pour alimenter la roue qui tourne

Pour Dany Laferrière, «tous les récits ont été racontés». Et, s’il a mentionné se répéter à travers ses écrits, c’est «parce qu’il y a constamment des gens qui prennent le train en marche et qui n’ont pas entendu ces histoires: les gens ont besoin de répétition, la répétition est la forme de savoir la plus efficace».

Et d’ajouter avec poésie: «C’est l’image qui fait le style, et le style s’apprend par le quotidien et les gestes répétitifs: chaque fois qu’on répète, on ajoute quelque chose à l’histoire, car c’est en roulant sur elle-même que la roue avance et qu’il y a progrès. On avance en roulant sur soi-même, en gardant la poussière d’avant.»

C’est aussi afin de renouveler le genre qu’il a délaissé sa machine à écrire pour se tourner vers le roman dessiné peu après le tremblement de terre qui a dévasté Port-au-Prince en 2010.

«Je voulais aller à reculons, retourner vers l’enfance et retrouver l’effort, a-t-il expliqué. Comme j’écris et que je dessine mal, j’ai choisi de faire sérieusement quelque chose que je ne maîtrisais pas pour faire plus qu’en amateur.»

Cinq romans illustrés ont été publiés sous sa plume et ses encriers multicolores, au grand plaisir de ses admiratrices et admirateurs.

«Quand on se lance dans l’art, on doit le faire en dehors du rapport avec le lecteur, le public ou l’éditeur, a conclu Dany Laferrière. Il faut tenter de faire ce qui nous plaît, au risque d’échouer: c’est plus intéressant que de réussir en faisant ce qu’on sait trop faire ou qu’on a trop souvent fait.»

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