Intimidation au travail: quand le code postal change la donne

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À quelles réalités et quels enjeux éthiques les chercheurs sont-ils confrontés lorsque leurs études incluent des gens de régions rurales?

Hélène Durocher

Hélène Durocher, candidate au doctorat et chargée de cours à la Faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal

Crédit : Amélie Philibert | Université de Montréal

Votre gestionnaire vous surveille à outrance. Votre collègue vous donne du fil à retordre. Votre employé multiplie les plaintes à votre égard. Vers qui vous tournez-vous? Votre représentante syndicale? Elle est la belle-sœur de votre intimidateur. Le psychologue du programme d’aide aux employés? Il est l’un des invités de marque du prochain barbecue de votre intimidatrice. Même à l’épicerie, il vous arrive régulièrement de faire la file avec la personne qui vous empoisonne la vie. 

La réalité des personnes en situation d’intimidation en milieu rural est parfois bien différente de ce qui se passe en ville. C’est le constat qu’a fait Hélène Durocher, candidate au doctorat et chargée de cours à la Faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal, dans son étude qualitative sur les situations d’intimidation sous-jacentes à la pratique infirmière, faite dans le cadre de sa thèse. Consciente des répercussions que sa recherche pouvait avoir sur les participants et participantes, elle a dû prendre des mesures particulières pour s’assurer de la confidentialité des données.

Le 10 mai, elle a pris part au colloque «Entendre la voix des populations sur la santé en région», présenté à l’occasion du 90e Congrès de l’Acfas. Les différents enjeux et défis auxquels sont confrontés les chercheurs et chercheuses désirant effectuer des études en région rurale y ont été abordés.

Préoccupations d’ordre éthique

Du début à la fin de sa recherche, Hélène Durocher a dû multiplier les stratégies pour éviter de dévoiler des détails qui pourraient causer du tort aux sujets de son étude. Elle a par exemple fait son recrutement auprès de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec au lieu de solliciter directement les milieux de travail, puis a modifié certains éléments dans sa thèse tels que le secteur d’activité et le rôle occupé par les personnes ayant témoigné. «Il s’agit d’une recherche qualifiée de sensible en raison de l’exploration en profondeur d’une expérience vécue liée à la violence, qui est un sujet épineux et tabou, a-t-elle expliqué. Ce type d’étude présente un risque de préjudices par le seul fait de participer à l’étude, comme une perte d’emploi ou des représailles. D’où l’importance pour le chercheur d’être prudent sur le plan de la confidentialité et de la diffusion des résultats.»

Afin de mieux saisir les particularités relatives aux réalités du personnel infirmier en situation d’intimidation en zone rurale, la chercheuse s’est également rendue dans certaines régions éloignées, ce qui lui a permis d’acquérir une sensibilité contextuelle. «Il est important pour le chercheur de prendre en compte la proximité communautaire, en ce sens que des informations sur la situation d’intimidation vécue peuvent circuler dans la communauté. En étant sur le terrain, j’ai réalisé à quel point tout le monde est proche. S’il y a un problème avec quelqu’un, il est certain que la communauté va en jaser et ce n’est pas toujours la bonne version qui est racontée», a-t-elle indiqué.

Prendre le pouls des participants

Si, au départ, elle n’avait pas inclus les zones rurales dans sa recherche, une étape préparatoire a permis à Hélène Durocher de corriger le tir. En analysant les témoignages des 10 premiers participants et participantes, elle a réalisé qu’elle pourrait élargir le spectre de son étude. «Quelques volontaires avaient commencé leur carrière en région, puis avaient choisi des milieux urbains à la suite de situations d’intimidation, a-t-elle mentionné. Il est alors devenu évident, lors de mon analyse, que les gens des régions rurales devaient faire partie de la construction de mon modèle théorique.»

Cette phase initiale, moins présente dans les études qualitatives, lui a permis d’étendre sa recherche non seulement en ce qui a trait au territoire couvert, mais aussi en matière de diversité des rôles occupés. Ceux-ci vont de l’étudiant en sciences infirmières au technicien et à l’infirmier spécialisé chez les 52 sujets de l’étude finale âgés de 20 à 69 ans. «Beaucoup m’ont parlé de situations vécues en contexte de formation. J’ai donc décidé d’inclure ce volet», a-t-elle dit.

Grâce à des entrevues pouvant s’étendre jusqu’à quatre heures, la candidate au doctorat a pu obtenir différents points de vue, qu’il s’agisse de personnes ayant été la cible ou le témoin de situations d’intimidation ou de gens ayant été eux-mêmes intimidateurs, ce qui demande temps et tact. «Au Québec, il n’y a aucune étude portant sur l’intimidation au travail qui s’est basée sur des entretiens en profondeur; la plupart d’entre eux durent une trentaine de minutes. Pour une étude comme la mienne, 30 minutes, c’est juste le temps de faire connaissance avec la personne. Pour la mettre en confiance et lui permettre de s’ouvrir, il faut créer un lien de confiance et ça, ça demande du temps», a-t-elle conclu.

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