Deux étudiants donnent des cours de latin à la Fondation Humanitas
- UdeMNouvelles
Le 10 novembre 2023
- Virginie Soffer
À côté de leurs études classiques, William Bouchard et Christophe Turcotte enseignent à la Fondation Humanitas.
William Bouchard et Christophe Turcotte sont titulaires d’un baccalauréat en études classiques de l’Université de Montréal. Le premier poursuit sa formation à la maîtrise en études classiques et le second, diplômé de cette même maîtrise, a entrepris un doctorat. Parallèlement à leurs études, ils donnent tous deux des cours à la Fondation Humanitas et à l’UdeM à titre d’auxiliaires d’enseignement. Nous leur avons donné la parole.
Pourquoi avoir choisi de suivre des études classiques?
Christophe Turcotte: J'avais suivi un programme d'études collégiales qui comportait plusieurs cours sur l'Antiquité. Cette période, qui s’étend sur plus d’un millénaire, me fascinait.
J’ai ensuite entendu parler du programme de l’Université Montréal en études classiques et je me suis inscrit à la majeure par curiosité. Je m'intéressais alors surtout à l'histoire et à la mythologie, qui peuvent être captivantes pour des non-spécialistes. Au fil du programme, j’ai développé un amour des langues anciennes et j’ai alors choisi de poursuivre mes études dans ce domaine et de faire un baccalauréat.
William Bouchard: Avant d'aller à l'université, j’étais dans une école de théâtre. Dans les cours de dramaturgie, on a lu des tragédies et des comédies grecques. Les comédies d'Aristophane m’ont particulièrement marqué. Je suis entré dans le programme d’études classiques de l’UdeM en ayant l’idée d’étudier le théâtre ancien. La mythologie m’intéressait également. Et comme Christophe, ce sont les langues anciennes qui m'ont finalement donné le goût de poursuivre le programme d’études classiques.
Est-ce le côté énigmatique des langues anciennes qui vous a plu?
Christophe Turcotte: En latin, l’ordre des mots est déterminé, mais il n’est pas nécessairement fixé. Il n’y a pas d’articles. Comme en allemand, il y a des déclinaisons. Alors oui, quand on voit une phrase, c'est un peu comme résoudre une énigme lorsqu'on est étudiant de première année! Aujourd'hui encore, quand j’étudie de la poésie, cela peut me paraître énigmatique au premier abord.
William Bouchard: J'ai toujours entendu dire que les langues anciennes étaient énigmatiques. Mais je me suis rendu compte que ça avait l'air d’être de la magie simplement parce qu’on le montrait comme tel! En réalité, il y a bien des langues modernes tout aussi éloignées du français comme le japonais, que j’apprends en ce moment.
Qu’apporte l’apprentissage des langues anciennes?
Christophe Turcotte: Après avoir appris le latin et le grec, mon niveau de français s'est nettement amélioré, car je comprenais comment ce que j'écrivais devait être structuré. Les connaissances syntaxiques des langues anciennes m’ont été utiles pour le français.
En apprenant comment les anciens nommaient les choses, on découvre également une autre représentation de la réalité et du monde qui les entourait. L’étymologie des mots peut être aussi intéressante. Le mot Orient vient du verbe oriri qui signifie «se lever». Le mot Occident vient lui du verbe occidere qui signifie «se coucher». Cela permet de réaliser que des termes qu'on emploie dans la langue courante viennent de quelque part!
William Bouchard: En reconnaissant mieux les formes, mon français s’est lui aussi bien amélioré!
En outre, cette période où l’on parlait le grec ancien et le latin a été extrêmement fondatrice pour la culture occidentale. Il y a des références en philosophie et en littérature à des classiques et à la mythologie. Apprendre le latin, c'est en apprendre beaucoup plus que sur Rome et Athènes quand on considère la portée sociétale future.
Pourquoi vos élèves choisissent-ils d’apprendre le latin?
Christophe Turcotte: Il y en a qui apprennent le latin pour le plaisir, d’autres pour lire les auteurs sans traduction, d’autres encore pour améliorer leur français.
Je ne vois pas d'application pratique quantifiable qui pourrait être placée sur une échelle de productivité. On est dans l'ordre de l’intangible des choses qui méritent d'être entretenues. Le latin et le grec méritent d'exister parce que c'est une partie signifiante de la production de l'humanité, ils ont leur place dans la mémoire humaine.
Est-ce un apprentissage d’actualité ou est-on plongé dans le passé?
Christophe Turcotte: Lire un auteur latin dans le texte nous plonge dans une forme de lointaine altérité. On vit dans une société libérale et les personnes qu’on a côtoyées dans sa vie ont grandi avec les mêmes modalités sociales en tant qu’individus libres. Aujourd’hui, on peut faire ce qu'on veut, on a un potentiel qu'on peut développer. Découvrir des textes anciens nous sort de notre époque et du monde dans lequel nous vivons, et ce, dans des termes qui sont différents des nôtres et parfois durs à traduire, car nous sommes justement dans une réalité différente.
En ce moment, je fais des demandes de bourse pour mon doctorat et je dois expliquer l’actualité de mes recherches sur l’Antiquité. Un de mes collègues historiens travaille sur les mouvements sociaux au Québec dans les années 1960, un sujet qui capte l’attention. J'ai un peu plus de difficulté à établir les liens avec la société actuelle.
William Bouchard: De mon côté, je pense que notre compréhension de la société se fait à travers le prisme de l’histoire. Apprendre n'importe quelle langue est un geste très personnel et l'utilisation qu'on fait de cette langue peut aider à comprendre des aspects de la société dans laquelle on vit.
Quand on lit des comédies d’auteurs antiques, on peut voir des enjeux sociaux qui se posent en ce moment et qui permettent de comprendre dans un système démocratique comme celui d'Athènes exactement ce qu'on vit aujourd'hui. On peut aussi faire d’autres parallèles. Par exemple, la comédie Lysis, qui sera jouée au Théâtre du Nouveau Monde l'an prochain, est une reprise de Lysistrata, d’Aristophane, et elle aborde les mêmes enjeux liés au genre dans le monde moderne.
Pourquoi enseigner le latin à d’autres?
William Bouchard: L’enseignement du latin me semble très pertinent aujourd'hui. De mon côté, j'aime beaucoup l'enseignement, l'interaction avec les étudiants et étudiantes à l'Université, où j’ai été auxiliaire d’enseignement, ainsi qu’à la Fondation Humanitas.
Christophe Turcotte: Comparativement au reste de mon parcours universitaire, l’apprentissage des langues anciennes a exigé un travail régulier et constant. Je me projette un peu dans les personnes à qui j'enseigne. Je me reconnais dans leurs difficultés, que j’ai peut-être moi-même vécues. Je suis content de pouvoir donner des explications que j'aurais aimé recevoir. C’est très satisfaisant!
Comment se passe la conciliation travail-études?
William Bouchard: Comme j’apprécie ce que je fais, le contact est très agréable avec les étudiantes et les étudiants, que j’aime écouter et aider. Et ça me permet aussi de consolider mes connaissances. Quand on répète tout temps et tous les jours les déclinaisons et les différentes formes verbales, ça rentre dans la tête!
Christophe Turcotte: Faire répéter les étudiants et étudiantes m’a aussi aidé dans mes études. La grammaire est presque devenue une deuxième nature! Maintenant, je connais par exemple le subjonctif imparfait du deuxième groupe sur le bout des doigts! C’est un grand plaisir d’enseigner et d’apprendre en même temps.