Des ateliers de français gratuits pour la population ukrainienne
- UdeMNouvelles
Le 19 mars 2024
- Virginie Soffer
Maria Bondarenko offre bénévolement des cours de français pour les Ukrainiens. Pour faciliter leur intégration linguistique, elle utilise la langue maternelle des apprenants.
Oksana, Olena, Iryna, Dennis, Oleg, Konstantin, Oulyana... Elles et ils viennent de Kiev, d’Odessa, de Kharkiv, de Lviv ou d’ailleurs en Ukraine. Pour la plupart, ce sont des femmes de plus de 40 ans qui se retrouvent, après leur longue journée de travail ou après leurs cours de francisation dans les locaux de l’Université de Montréal, pour suivre des ateliers de français.
Depuis un an, ils sont plus d’une centaine à avoir suivi un ou plusieurs ateliers de français qui leur sont bénévolement proposés par la pétillante Maria Bondarenko, chargée de cours de russe au Centre de langues de l’UdeM, professeure de français au programme de francisation du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI), et maître de conférences en didactique des langues étrangères à l’Université de Heidelberg.
Chaque mercredi soir, durant deux heures, une vingtaine de personnes ukrainiennes se réunissent avec un sentiment de bonheur palpable pour participer à ses cours. Afin de faciliter leur apprentissage, Maria Bondarenko utilise les langues maternelles des apprenants, l’ukrainien et le russe. Cette approche chaleureuse et personnalisée crée un lien profond entre l’enseignante et ses étudiants, leur offrant un espace d’apprentissage où ils se sentent compris et soutenus et où chacun participe.
Quand une seule petite annonce fait venir une centaine d’étudiants et étudiantes
Résidente du quartier Côte-des-Neiges, Maria Bondarenko a été témoin de l’apparition croissante de personnes ukrainiennes dans les rues avoisinantes. Animée par un élan de solidarité et consciente de ses compétences linguistiques – elle est professeure de français et de russe et, de par ses origines, elle comprend l’ukrainien –, elle a décidé d’agir. «Je voulais faciliter l’intégration de cette population dans notre société québécoise, car je me sens capable d’être utile», confie-t-elle.
Déposant une simple annonce au centre La Terrasse, un centre d’aide bénévole créé par le propriétaire de l’hôtel La Terrasse pour les membres du programme d’Autorisation de voyage d’urgence Canada-Ukraine (AVUCU), Maria Bondarenko n’imaginait pas l’ampleur de la réponse qu’elle allait susciter. «Au début, je pensais aider un petit groupe, peut-être une famille. Mais dès la publication de l’annonce sur le groupe Facebook du centre, j’ai été submergée par un flot d’appels et de messages textes de personnes désireuses d’apprendre le français», explique-t-elle.
Maria s’est alors attelée à rencontrer différentes personnes, comprendre leur situation et leurs motivations, et ainsi cerner leurs besoins spécifiques.
Faciliter l’intégration linguistique de nouveaux immigrants
L’atelier dirigé par Maria Bondarenko offre une aide précieuse dans l’apprentissage de la langue française. À ses débuts, l’atelier visait essentiellement les personnes qui étaient en attente de leur cours de francisation. «Le temps d’attente pour accéder à une classe de français du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration peut être extrêmement long, parfois dépassant quatre ou cinq mois», explique-t-elle.
Les participants à cet atelier sont souvent dépourvus de connaissances linguistiques préalables et confrontés à de multiples défis. «L’immigration imprévue causée par un conflit militaire ressemble souvent à une fuite et laisse peu de temps pour une préparation linguistique adéquate. Beaucoup d’Ukrainiens et d’Ukrainiennes récemment venus au Québec n’ont jamais envisagé d’étudier le français ce qui rend leur apprentissage encore plus ardu», précise Maria Bondarenko. Lorsqu’ils commencent à suivre des cours de francisation, ils se sentent dépassés par le rythme soutenu des cours et par la méthodologie immersive utilisée. L’atelier qu’elle propose permet d’aborder les notions grammaticales dans la langue maternelle des participants, offrant ainsi un environnement d’apprentissage plus accessible et adapté à leurs besoins individuels.
L’ukrainien, une langue très éloignée du français
La maîtrise de la prononciation française représente un défi de taille pour les apprenants ukrainiens. «En ukrainien et en russe, les langues parlées par nos participants, il n’y a que six voyelles prononcées, alors qu’en français canadien il y en a seize et treize dans le français de France», souligne Maria Bondarenko, mettant en lumière la complexité de ce passage linguistique.
Parmi les difficultés rencontrées figurent les nasales telles que «un», «on», «pain», «dent», qui se révèlent ardues à distinguer à l’oreille et à articuler. Interrogés sur les mots posant problème, les étudiants évoquent des termes comme «semblable», «malheureusement» ou «Montmorency», qui constituent autant de défis phonétiques.
Le français, une langue très éloignée de l’ukrainien, nécessite un apprentissage intensif, comme le souligne Oksana qui participe à l’atelier. «Il faut apprendre de nombreux nouveaux mots pour exprimer nos sentiments et nos intentions. De plus, les temps verbaux sont très différents en français, avec l’imparfait, le subjonctif et le passé composé», explique-t-elle. Dans ce contexte, l’atelier dirigé par Maria Bondarenko offre un cadre propice à la répétition et à la pratique, essentielles pour surmonter ces obstacles linguistiques, comme le confirme l’étudiante: «Cet atelier est très utile, car il nous permet de pratiquer encore et encore.» Un avis partagé de tous les étudiants.
Miser sur la communication orale
Dans le parcours d'apprentissage du français pour les Ukrainiens, l'expression orale représente souvent un défi majeur. Les étudiants manquent souvent d'opportunités pour s'exprimer et recevoir une rétroaction corrective, non seulement en dehors de leurs cours de francisation, mais également dans leurs classes.
Dans son atelier, Maria Bondarenko accorde une grande importance aux exercices oraux pour offrir aux étudiants un espace où perfectionner leur expression orale. En observant attentivement leurs interactions, elle identifie les lacunes linguistiques qui nécessitent une attention particulière et les corrige ainsi.
Ce faisant, elle utilise une approche neurolinguistique conçue par des universitaires canadiens pour l’enseignement du français dans un contexte immersif. Cette méthode repose sur une approche simple : introduire de nouvelles informations linguistiques, les pratiquer immédiatement et fournir une rétroaction corrective, le tout oralement et sans recours à aucun support écrit, au sein de dialogues portant sur des sujets pertinents pour les élèves. D’après Maria Bondarenko, la méthode fonctionne particulièrement bien et «nous devrions être fiers que le patrimoine intellectuel linguodidactique du Canada puisse être utilisé pour aider les nouveaux arrivants à s'intégrer à notre communauté.»
Se connecter émotionnellement à la langue française
Pour encourager l’expression personnelle, la professeure propose également aux apprenants de se connecter émotionnellement à la langue et la culture française, en partageant leurs propres souvenirs et expériences. Par exemple, en enseignant le verbe «se souvenir», elle a utilisé la devise du Québec «je me souviens» en demandant de deviner de quoi les Québécois se souviennent. De cette manière, elle a laissé les participants prendre conscience du passé multiculturel, à bien des égards douloureux et traumatisant, du Québec. Puis, elle leur a demandé de quoi ils se souviennent de l’Ukraine. Les étudiants ont ainsi pu répondre: «je me souviens de mes amis, de ma maison, de ma ville». «Je me souviens que leur visage a changé lorsqu’ils répondaient à cette question», commente Maria, «mais cela est nécessaire».
«Malgré les défis linguistiques et émotionnels, cette exploration leur offre une voie vers l’expression de leurs émotions et de leurs traumas en français, même si ce n’est que par le biais de quelques mots. C’est un pas crucial vers l’intégration linguistique dans leur nouveau foyer québécois», conclut-elle.