Quand «du coup» devient «ça fait que»
- UdeMNouvelles
Le 7 novembre 2023
- Béatrice St-Cyr-Leroux
La linguiste et professeure Julie Auger s’intéresse aux facteurs qui expliquent l’adoption ou non de traits du français québécois chez les Français installés à Montréal.
La plus grande communauté de citoyens français vivant à l’extérieur de l’Europe se trouve au Québec, plus précisément à Montréal. Ils seraient plus de 60 000 à habiter dans la métropole, un chiffre en constante augmentation depuis 20 ans, selon les données du ministère français des Affaires étrangères.
Souvent attirés par la langue commune, ces Français se voient tout de même immergés dans un nouvel environnement linguistique où les expressions, le vocabulaire, la prononciation et la syntaxe diffèrent. Certains membres de cette communauté se laissent alors imprégner par le dialecte local et leur langue se teinte d’un accent québécois.
Mais dans quelle mesure adoptent-ils les traits du français québécois? Est-ce que tous les adoptent? Pourquoi certains plus que d’autres? Quels traits sont adoptés en premier? Bref, quels facteurs favorisent ou défavorisent cette acquisition?
C’est ce que cherchent à savoir Julie Auger, professeure au Département de linguistique et de traduction de l’Université de Montréal, et sa doctorante Nadège Fournier.
Ensemble, elles mènent actuellement une étude pour dégager des généralisations concernant les pratiques langagières des Français qui se sont installés à Montréal à l’âge adulte récemment ou il y a plusieurs années.
Une question de contexte?
Le projet des deux chercheuses s’inscrit dans le champ de la sociolinguistique cognitive; il vise à rendre compte d’une variation linguistique dans un contexte social à l’aide d’un cadre explicatif cognitif. «Nous voulons analyser la façon dont nos participantes et participants parlent, mais aussi comprendre pourquoi ils adoptent les traits québécois et s’ils le font de manière consciente ou inconsciente», précise Julie Auger.
Dans cette optique, chaque personne est interviewée par deux enquêtrices – une Française et une Québécoise – pour voir si l’utilisation de traits québécois varie en fonction de l’identité de l’interlocutrice.
«Nos résultats préliminaires montrent que, de manière générale, il y a plus de traits québécois dans l’entrevue avec l’enquêtrice québécoise. C’est plutôt sans surprise, puisque l’humain change souvent inconsciemment sa façon de parler pour “converger” vers celle de son interlocuteur», indique la professeure.
Par contre, les chercheuses ont été étonnées de constater que, pour la prononciation du a en fin de mot, les hommes font preuve d’une plus grande adaptation à l’accent de l’enquêtrice que les femmes.
«C’est surprenant, car plusieurs études donnent à penser que les femmes sont davantage caméléons, dans un sens positif, que les hommes. Est-il possible que ce soit dû au fait que les enquêtrices sont des femmes âgées de 25 à 35 ans? Si nos enquêtrices avaient été de jeunes hommes, est-ce que ce serait les femmes qui auraient modifié le plus leur façon de parler?» questionne Julie Auger.
Des facteurs sociaux et identitaires
Pour la linguiste, il est clair que l’adoption de caractéristiques du français montréalais par les Français est influencée par une multitude d’éléments. Elle s’intéresse particulièrement au rôle du parcours et de la personnalité de chacun.
«Je pense que le réseau social des individus influence cette adoption – s’ils sont en couple avec une personne québécoise, s’ils ont beaucoup de collègues et amis québécois, etc. –, tout comme les motivations de leur arrivée en sol québécois – était-ce leur rêve de venir habiter ici, se sentaient-ils déjà québécois avant même d’arriver ou sont-ils simplement venus rejoindre un conjoint?» expose Julie Auger.
L’identité et l’appartenance culturelle à la France ou au Québec pourraient donc aussi (dé)favoriser l’adoption de traits du français québécois. «Certains considèrent que l’adaptation de leur façon de parler est nécessaire pour bien s’intégrer à la société québécoise, alors que d’autres dénigrent le français québécois et refusent de s’en imprégner – ce qui, selon moi, est impossible, puisque nous sommes tous des éponges jusqu’à un certain point», poursuit-elle.
Si plusieurs hypothèses émergent, les chercheuses doivent encore analyser leurs données pour réellement comprendre les pratiques langagières des Montréalais d’origine française.