Mieux comprendre le recours à l’aide médicale à mourir

«C’est une des questions sur toutes les lèvres: pourquoi le Québec est-il l’endroit dans le monde où il y a le plus haut taux de décès par l’aide médicale à mourir?» confie Marie-Ève Bouthillier, professeure agrégée de clinique au Département de médecine de famille et de médecine d’urgence de l’Université de Montréal. En effet, plus de sept pour cent des décès au Québec sont attribuables à l’aide médicale à mourir.
Or, «ces sept pour cent, c’est un chiffre, ce n’est ni bien ni mal», précise-t-elle. Pour mieux comprendre la réalité québécoise et la comparer avec celle d’ailleurs dans le monde, Marie-Ève Bouthillier et son équipe du Bureau de l’éthique clinique de l’UdeM ont obtenu en mars une subvention de près d’un million de dollars sur trois ans du Fonds de recherche du Québec – Société et culture.
Comprendre et comparer
L’équipe de recherche procédera d’abord à une analyse juridique des lois et différentes politiques de santé des pays où une forme d’assistance à mourir est autorisée. Elle souhaite ensuite examiner les facteurs contributifs au recours à l’aide médicale à mourir, autant individuels (caractéristiques personnelles, type de maladie) et organisationnels (obstacles et accès à l’aide médicale à mourir) que sociétaux (acceptabilité sociale, politiques publiques, etc.). «On veut par exemple savoir si la présence d’un groupe interdisciplinaire de soutien a une influence», soulève la chercheuse.
Plusieurs approches seront utilisées, autant quantitatives (enquêtes populationnelles comparatives) que qualitatives (entrevues, groupes de discussion, forums délibératifs avec des citoyens). De plus, l’équipe ne se contentera pas d’examiner les façons de faire au Québec. Des rencontres avec des experts dans d’autres pays et avec des cliniciens qui pratiquent au Québec, mais aussi au Canada et à l’étranger seront organisées. «Notre objectif est de faire une synthèse de toutes ces méthodes; nos résultats nous informeront sur le recours à l’aide médicale à mourir et sur les facteurs explicatifs», résume Marie-Ève Bouthillier.
Ses recherches, qui visent à cerner les facteurs susceptibles d’expliquer l’augmentation constante du recours à l’aide médicale à mourir (AMM) ainsi que son acceptabilité sociale au Québec, alimenteront les travaux ministériels portant sur des politiques publiques et programmes sociaux liés à l’AMM et sur les mécanismes de son encadrement dans la province. Le projet permettra aussi de soutenir l’amélioration ou l’adaptation des pratiques professionnelles en contexte de soins de fin de vie.
Un point de vue multidisciplinaire
Ce projet de recherche sera mené par une équipe multidisciplinaire dont plusieurs des chercheurs et chercheuses sont membres du Bureau de l’éthique clinique de l’Université de Montréal. Mis sur pied par le Dr Antoine Payot, professeur titulaire, pédiatre et néonatologiste, le Bureau offre un soutien en matière d’éthique à la Faculté de médecine de l’UdeM. «On propose ainsi des ateliers aux résidents sur différents enjeux, comme celui du déséquilibre de pouvoir entre le médecin et son patient», explique Marie-Ève Bouthillier. Actuellement, des médecins du Bureau de l’éthique clinique contribuent aux travaux sur le renouveau du programme de doctorat de premier cycle de la Faculté de médecine, notamment en ce qui a trait à l’éthique, aux sciences humaines et sociales et à la communication. Par ailleurs, des programmes de maîtrise et de doctorat en éthique clinique ont été conçus pour former de futurs éthiciens et pour toute autre personne intéressée par les questions éthiques en santé.
«On fait aussi de la recherche dans le domaine de l’éthique», poursuit la professeure, qui se dit elle-même un «produit interdisciplinaire», ses formations ayant touché à la psychologie, au droit, à la philosophie et aux sciences humaines. «Les enjeux ne sont pas que médicaux, ils sont aussi sociaux. Plusieurs choses sont médicalisées, telle la mort. Mais est-ce que c’est un problème qui relève de la médecine? Un problème humain? J’apporte la vision des sciences humaines dans l’éthique clinique», affirme-t-elle.