Comment écrire une partition pour de la musique électronique?
- UdeMNouvelles
Le 8 août 2024
- Virginie Soffer
Le professeur de musique Nicolas Bernier travaille à élaborer une méthode de notation de la texture sonore pour les performances électroacoustiques.
De plus en plus de musiques électroacoustiques sont destinées à être interprétées sur scène. Contrairement à la majeure partie de la musique occidentale, ces œuvres utilisent des sons bruités et produisent une grande variété de timbres qui peuvent ressembler à un bruit d’eau ou à un mugissement par exemple. Comment alors noter ces sons sur une partition? Quel système de notation serait le plus adapté? Traditionnellement, en Occident, la musique est représentée sur des portées de 12 notes. Pourrait-on utiliser ce système ou doit-on en inventer un? Et comment faire pour qu’il soit facilement compréhensible?
Ces questions sont explorées cet été par Nicolas Bernier, professeur de musique numérique à la Faculté de musique de l’Université de Montréal.
Écrire des partitions de musique électronique
Nicolas Bernier, créateur d'œuvres électroacoustiques, s'interroge sur la manière de structurer l'écriture de ses compositions pour les interpréter sur scène. «Sur mon synthétiseur se trouvent une multitude de boutons et de câbles. Quand je monte sur scène, comment me souvenir de ce que je dois faire, sur quel bouton appuyer et quel type de son produire? Pour ce qui est de la perception du son, comment le son est-il censé être entendu? Parce que si je tourne le bouton à 75° ou si je le tourne à 25°, le rendu sera très différent. Comment écrire cela pour réussir à rejouer l’œuvre plus tard?» observe le professeur.
Que noter? Faut-il écrire chaque manipulation et chaque son produit? Si, sur une partition de musique classique, on peut écrire et suivre chaque note, en revanche un synthétiseur peut émettre une centaine de notes en l’espace d’une fraction de seconde! Consigner chaque note serait peu pratique et fort complexe à lire pour l’interprète! «Cela ne vaut pas la peine d'écrire la totalité des notes, il faudrait plutôt pouvoir décrire l'énergie du son et son évolution: est-ce que la série de sons descend, monte ou inclut de la distorsion?» illustre Nicolas Bernier.
Comment concevoir une notation multitonale lisible par tous?
Autre défi de taille: comment écrire des partitions pour un instrument multitonal? Le piano et le violon ont un timbre relativement stable. Un piano va la plupart du temps sonner comme un piano et un violon comme un violon! Mais les instruments électroacoustiques produisent une multitude de timbres et peuvent sonner comme un piano ou un violon ou comme quelque chose de totalement autre! Comment décrire ces sons multitimbres?
Et comment rendre cela lisible par le plus grand nombre et pour qu’on puisse se l’approprier le plus rapidement possible? Le but serait qu’on puisse comprendre intuitivement de quoi il s’agit. Nicolas Bernier est à explorer plusieurs pistes pour traduire graphiquement les divers éléments.
Annotations comme au théâtre
Comme dans le cas de pièces de théâtre, où des indications scéniques sont données en début de pièce, les réglages à appliquer peuvent être écrits au début de la partition. Ce serait également possible de les insérer en milieu de partition, lors de changements de registre. Par exemple, il est possible de retourner son archet pour produire un son plus bruité, moins mélodique. «Dans les partitions, on peut écrire quelque chose comme “Jouer de l’archet à l'envers pour avoir un timbre bruité ou criard”», explique Nicolas Bernier.
Le musicien, qui travaille sur une œuvre à l’aide d'un synthétiseur, prévoit écrire sa partition à l’aide de la notation occidentale classique augmentée par des indications pour les timbres et les manipulations. Il prévoit également travailler sur une méthode textuelle de notation.
Notations pour synthétiseur ou pour pédales de guitare
Nicolas Bernier est accompagné dans ses recherches sur l’écriture de la musique électroacoustique par deux doctorants: David Caulet et Pierre-Luc Lecours.
David Caulet va s’intéresser plus particulièrement à la notation pour les pédales d’effets de guitare appliqués dans un contexte non traditionnel. Il prépare une performance et ses recherches visent à découvrir de nouvelles pistes de jeu et de notation dans ce domaine encore peu étudié. «Bien que les pédales de guitare soient couramment utilisées, peu de codes précis sont proposés pour noter leurs manipulations en temps réel. Habituellement, on se contente d’indiquer si la distorsion est activée ou désactivée. Pourtant, certaines personnes s’en servent pour modifier en direct les paramètres sonores de multiples manières et il n'existe pas de système de notation pour décrire ces actions avec précision», mentionne Nicolas Bernier.
Pierre-Luc Lecours explorera quant à lui la notion d'interprétation au synthétiseur modulaire. Il souhaite se pencher sur des compositions spécifiques à cet instrument. Peu de musiciens se spécialisent dans l'interprétation d'œuvres pour synthétiseur modulaire créées par d'autres en raison de la complexité de ce travail et de la difficulté de transmission des éléments à interpréter. Souvent, l'interprétation repose sur des schémas techniques et une grande part d'improvisation plutôt que sur des partitions formelles. Cela permettra également de trouver des pistes de notation.
Représentation de l’œuvre créée par Nicolas Bernier
La pièce créée par Nicolas Bernier dans le premier concert d’Ensemble modulaire, une nouvelle formation d’instrumentistes dirigée par Pierre-Luc Lecours, sera présentée au Centre interdisciplinaire de recherche en musique, médias et technologie le 28 février 2025.