Enseigner la poésie avec Instagram: une étude auprès d'adolescents qui recourt à la littérature et aux arts
- UdeMNouvelles
Le 22 janvier 2025
- Martin LaSalle
La professeure Amélie Lemieux a examiné les conséquences de l’intégration, en enseignement, de la poésie sur Instagram pour initier des élèves du secondaire au monde de la littérature et des arts.
Dans une classe de troisième secondaire à Montréal, Sarah* a sorti son téléphone en plein cours de français… Mais elle n'enfreignait pas les règles, au contraire: elle participait à une expérience pédagogique, l'InstaPoésie, où les sonnets côtoient les messages éphémères (stories) et où les œuvres d'art virtuelles stimulent la création littéraire chez les adolescents.
Visant à initier des élèves du secondaire au monde de la littérature et des arts, cette approche didactique novatrice a fait l’objet d’une publication récente dans la revue Langue et littératie sous la plume de la professeure Amélie Lemieux, du Département de didactique de l’Université de Montréal, et de son équipe de recherche.
Réalisé dans quatre écoles secondaires à Laval, Montréal, Edmonton et Brisbane, en Australie, ce projet de recherche-action démontre comment les médias sociaux peuvent devenir de précieux alliés dans l'enseignement de la littérature à travers les arts.
Une expérience qui fait école
À Montréal, l'expérience s'est déployée sur deux fronts: une école francophone comptant six groupes de 35 élèves et une école anglophone indépendante et son groupe-classe de 19 élèves. Dans les deux cas, des enseignantes ont relevé un défi de taille: consacrer de quatre à six semaines à la poésie, soit de deux à trois fois plus de temps que d'habitude, en plus des contenus en grammaire, vocabulaire, communication orale et écriture!
Les élèves de l'école francophone ont plongé dans une aventure combinant visites virtuelles du Musée des beaux-arts de Montréal et création poétique. Le projet s'est nourri des œuvres des auteures innues Marie-Andrée Gill et Joséphine Bacon ainsi que de l’auteur queer Simon Boulerice, abordant les thèmes de la justice sociale et de l'identité, qui résonnent particulièrement auprès des jeunes.
Face aux œuvres numériques, les jeunes ont appris à interpréter la symbolique de l’image, à en comprendre la composition, à ressentir les émotions associées à leur appréciation esthétique. Cette «grammaire de l'image» est devenue le tremplin vers leurs propres productions créatives.
«Les élèves avaient ensuite pour mission de composer des poèmes courts inspirés par les œuvres observées, explique Amélie Lemieux. Ces créations ont trouvé leur place sur un compte Instagram dédié, @insta_poetik, où elles ont été publiées de manière anonyme avec le consentement des parents.»
Les enseignantes des écoles secondaires montréalaises qui ont collaboré au projet de recherche ont observé un changement progressif chez leurs élèves.
«Les adolescents ont d’abord été déstabilisés par cette nouvelle approche, mais, peu à peu, ils ont gagné en confiance, passant des règles formelles de la poésie à une expression plus personnelle et authentique, relate Amélie Lemieux. Certains se sont même aventurés à créer des calligrammes, ces poèmes visuels dont les mots forment un dessin qui représente le sujet du texte.»
À Edmonton, des élèves ont poussé l'expérience plus loin en visitant physiquement la Galerie d'art de l'Alberta. Les discussions qui en ont découlé sur la portée de leurs poèmes ont permis d’instaurer un environnement sécuritaire où se sont exprimées la vulnérabilité et l’honnêteté nécessaires au partage des poèmes en classe et sur Instagram.
À Brisbane, dans un contexte de forte diversité culturelle, les élèves ont travaillé sur le thème de l'eau et de la conscience écologique, utilisant un modèle systématique de critique d'art pour structurer leur approche créative en vue de la production poétique.
Des outils hybrides qui favorisent les apprentissages
Cette approche novatrice répond à un défi contemporain majeur: comment enseigner la littérature à une génération hyperconnectée, habituée à faire défiler du contenu? Plutôt que d'imposer une méthode traditionnelle, le projet propose de partir de leur réalité pour les guider vers de nouveaux horizons littéraires.
Les données recueillies à travers les entretiens avec les enseignantes, les observations en classe et l’analyse des productions poétiques des élèves sont probantes: amélioration des compétences d'analyse visuelle et littéraire, renforcement des capacités d'expression et, surtout, un engagement accru des élèves dans l'apprentissage de la poésie.
«Ces résultats nous indiquent que le personnel enseignant a des cadres dans lesquels il est possible de favoriser des apprentissages avec des outils hybrides, insiste Amélie Lemieux. Et ils montrent surtout qu’il est possible d’amener les jeunes à comprendre que la poésie n’est pas ennuyante ni rigide.»
Mais pour ce faire, les enseignantes et enseignants doivent eux-mêmes s’intéresser à la culture littéraire et médiatique ainsi qu’au rapport à l’objet en didactique.
«Il faut s’imprégner de la culture littéraire québécoise, aller au théâtre et visiter les expositions afin de pouvoir raconter par la suite aux élèves ce qu’on a vu et ressenti, ajoute Amélie Lemieux. Et il faut également s’inspirer des différentes cultures qui composent sa classe et aux façons dont les jeunes consomment la culture au quotidien.»
Elle conclut ainsi: «À l'heure où plusieurs pays, dont l'Australie récemment et le Canada dans une mesure plus large, adoptent des lois restrictives sur l'utilisation des médias sociaux chez les jeunes, cette expérience montre qu'une autre voie est possible: celle d'une utilisation didactique et équilibrée des outils numériques. Elle prouve non seulement que la tradition littéraire peut survivre à l'ère numérique, mais qu’il importe de la faire découvrir afin de toucher une nouvelle génération de créateurs.»
*Le prénom a été modifié.
À propos de cette étude
L’article «Teaching poetry using Instagram: An international, interdisciplinary study with adolescents mobilizing literacy and the arts», par Amélie Lemieux, ses collègues Georgina Barton (University of Southern Queensland), David Lewkowich (Université de l’Alberta), Boyd White (Université McGill), Stephanie Ho (école St. George) et les auxiliaires de recherche Mathilde Senécal et Chloé Goducheau-Damais, a été publié sur la plateforme Érudit.