Bob Dylan à l’université: quand la voix devient littérature
- UdeMNouvelles
Le 16 avril 2025
- Virginie Soffer
Un cours de littérature comparée explore l’œuvre de Bob Dylan.
Il arrive parfois que la littérature surgisse là où l’on ne l’attend pas. C’est le pari assumé de Simon Harel, professeur au Département de littératures et de langues du monde de l’Université de Montréal, qui consacre un cours entier au premier cycle et un autre aux cycles supérieurs à l’œuvre de Bob Dylan. Oui, Bob Dylan, le chanteur à la voix rugueuse, Prix Nobel de littérature, figure du folk américain et du rock contestataire, devenu objet d’étude universitaire, entre théorie littéraire et analyse de performances scéniques. Et ce pari, selon les étudiants et étudiantes qui suivent ces cours, fonctionne à merveille.
«C’est un artiste que je suis avec passion depuis au moins 40 ans, dit le professeur. Dylan traverse de nombreux domaines culturels. Il appartient à la culture dite populaire, mais il excède cette seule définition.» Dans ses cours, ce n’est pas simplement l’œuvre d’un musicien qui est analysée, mais une constellation de voix, d’époques, d’influences et de transformations artistiques.
La voix comme personnage
Ce que Simon Harel appelle la voix comme personnage est au cœur de sa démarche. «Je m’intéresse à la transformation de la voix chantée dans l’œuvre de Dylan sur une très longue période. Je l’envisage littéralement comme un personnage, tel qu’on pourrait le suivre dans un roman», explique-t-il. Pour cela, il s’appuie autant sur les textes des chansons que sur des enregistrements en direct, où la voix se modifie au fil du temps, au gré des contextes, des influences musicales et des choix artistiques du chanteur.
«Dylan, c’est un peu comme Picasso: il traverse des périodes très différentes. Du folk dépouillé du début des années 1960 au rock électrique de 1965 et au country de 1967-1969, puis à des phases beaucoup plus expérimentales, poursuit le professeur. Chaque période crée un nouveau personnage vocal.»
Mais au-delà de la voix, c’est tout un travail sur la performance que les cours proposent. Les étudiantes et étudiants analysent des vidéos de concerts, comparent des versions différentes d’une même chanson, se penchent sur des orchestrations, des textes modifiés et réfléchissent sur la portée du Never Ending Tour, cette tournée ininterrompue commencée en 1988 où Bob Dylan ne cesse de réinterpréter son propre catalogue de plus de 600 chansons.
Littérature comparée, pas musicologie
Pourquoi enseigner Bob Dylan dans un département de littérature et non de musique? Pour Simon Harel, l’approche littéraire est pleinement justifiée. «Dylan, c’est aussi un poète. Il a été influencé très jeune par les symbolistes français, William Blake, les poètes beat comme Allen Ginsberg… Il y a une poésie très riche dans ses textes», mentionne-t-il. Il évoque aussi l’importance de l’intertextualité: «Il va chercher des bribes de vieux poèmes, de chansons traditionnelles, il les transforme, les intègre à ses propres textes. Ce n’est pas du plagiat, c’est un travail de réappropriation.»
Un exemple? «Dans un album, Dylan insère des passages entiers d’un poète confédéré inconnu, Henry Timrod. Certains jeunes admirateurs ont reconnu les emprunts grâce à Internet. Ce geste soulève des questions fascinantes sur la création, le recyclage, le patrimoine», illustre-t-il.
C’est dans ce cadre que la littérature comparée, avec son attention aux croisements entre médias, trouve tout son sens.
Une expérience affective, vivante et partagée
Pour Antoine Eberth et Gabrielle Chartrand, deux étudiants inscrits au cours des cycles supérieurs, l'expérience dépasse largement le cadre universitaire. «J’avais suivi le premier cours de Simon Harel sur Bob Dylan au baccalauréat, raconte Antoine Eberth. Puis la musique de Dylan s’est mise à m’accompagner dans ma vie personnelle et affective.» Quand il apprend qu’un second cours est donné aux 2e et 3e cycles, il n’hésite pas. Ce retour à l’univers de Dylan, c’est aussi une manière de prolonger une écoute intime, ancrée dans son quotidien: «J’écoute de la musique dans les transports, en conduisant, en travaillant… C’est du Dylan qui joue la plupart du temps», confie le jeune homme.
Gabrielle Chartrand, elle, travaille avec le professeur Harel à la maîtrise. Ce qui l’a séduite dans ce cours, c’est autant le sujet que la manière de l’aborder: «J’aime beaucoup sa façon d’enseigner, qui est quand même un peu moins traditionnelle», dit-elle. Comme Antoine Eberth, elle a grandi avec les chansons de Bob Dylan entendues chez ses parents. Le cours lui offre un espace pour explorer cette figure «un peu fuyante», difficile à saisir autrement: «Ce que j’aimais, c’était aborder Dylan dans un contexte d’étude, mais avec un professeur qui n’a pas une approche élitiste, qui ne plaque pas des concepts savants sur une œuvre qui ne s’y prête pas nécessairement. Ça laisse place à l’interprétation, à la cocréation», indique-t-elle.
Mais ce qui les touche le plus, c’est la manière dont Bob Dylan s’immisce dans leur quotidien. Antoine Eberth en témoigne: «C’est rare qu’une figure artistique contamine autant notre vie personnelle. Le cours continue à vivre même quand nous ne sommes pas en classe. Ça me suit, ça me hante.» Et cette proximité avec l’artiste nourrit un désir d’ouverture: «C’est aussi pour ça qu’on a décidé d’organiser un colloque sur Dylan, poursuit Gabrielle Chartrand. Ce sera une exploration qui peut intéresser bien au-delà du monde universitaire.»
Dylan pour une nouvelle génération
Selon Simon Harel, ce qui attire cette nouvelle génération, c’est aussi la résonance actuelle des chansons de Bob Dylan. «De 1961 à 1963, c’est un chanteur profondément engagé qui parle aux États-Unis de droits civiques, de désarmement et de contestation. Et dans le contexte politique d’aujourd’hui, ça revient avec force», affirme le professeur.
L’enseignement, ici, va au-delà des connaissances. Il devient transmission d’un rapport au monde, à l’art, à la mémoire. «Je dis ainsi à mes groupes que, dans la vie, certaines œuvres vont nous accompagner longtemps. Ce n’est pas éphémère, c’est ce qui nous forme», ajoute-t-il.
Et si ces deux cours ont été créés tardivement, c’est sans doute parce que le professeur a mis du temps à se sentir «autorisé» à les donner. «J’ai longtemps cru que je ne pouvais pas faire entrer Dylan à l’université. Et puis, un jour, je me suis dit que je devais le faire. Parce que cette œuvre m’accompagne depuis de nombreuses années. Parce que l’un des privilèges de la littérature, c'est de tisser des histoires d’amitié, voire d’amour pour toute une vie», conclut-il.
Un colloque universitaire… avec des chansons
Les 22 et 23 avril, un colloque aura lieu autour de l’œuvre de Bob Dylan organisé par Antoine Eberth et Gabrielle Chartrand.
Il réunira chercheurs, artistes, passionnés, mais aussi musiciens qui interpréteront des chansons de Dylan ou d’artistes apparentés. Des performances scéniques viendront ponctuer les communications, dans une ambiance qui mêlera rigueur universitaire et effervescence créative.