Capacités cognitives: cartographier l’effet des modifications de l’ADN

La recherche explore comment les variations du nombre de copies de certains segments d’ADN peuvent avoir une influence sur les capacités cognitives.

La recherche explore comment les variations du nombre de copies de certains segments d’ADN peuvent avoir une influence sur les capacités cognitives.

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Une étude explore comment les variations du nombre de copies de certains segments d’ADN peuvent avoir une influence sur les capacités cognitives et le neurodéveloppement.

Sébastien Jacquemont

Sébastien Jacquemont

Crédit : Amélie Philibert, Université de Montréal

Une avancée importante sur le lien entre cognition et génétique a été réalisée grâce à une étude menée par Guillaume Huguet et Thomas Renne, étudiants sous la direction du Dr Sébastien Jacquemont, professeur au Département de pédiatrie de l’Université de Montréal et chercheur au Centre de recherche Azrieli du CHU Sainte-Justine. Cette recherche explore comment les variations du nombre de copies de certains segments d’ADN, appelées CNV, peuvent avoir une influence sur les capacités cognitives.  

Grâce à l’analyse des CNV chez près de 260 000 individus de la population générale, les chercheurs ont pu faire un parallèle entre les CNV et la cognition de chaque individu afin de définir un modèle de référence – une sorte de «carte» de l'effet des CNV sur la cognition, comme le quotient intellectuel et la mémoire – et d’établir des liens entre ces CNV et des atteintes non seulement au cerveau, mais aussi à d’autres organes et tissus. Cette recherche ouvre ainsi la voie à de nouvelles stratégies pour le diagnostic, la prise en charge et le suivi de troubles neurodéveloppementaux.

Ce que peuvent nous enseigner les CNV

Chaque individu possède normalement deux copies de chaque gène, héritées respectivement de chaque parent. Toutefois, il arrive fréquemment qu’il y ait une variation dans le nombre de copies de certains segments d'ADN: l’individu présente soit une perte (ou délétion), c’est-à-dire qu’il a moins de deux copies d’un segment, soit un gain (ou duplication), donc plus de deux copies d’un segment. La plupart de ces variations n’ont aucun effet significatif sur la santé, mais certaines d’entre elles peuvent contribuer à l’apparition de maladies ou de syndromes génétiques. L’interprétation de l’influence des CNV repose sur le contenu en informations génétiques, c’est-à-dire les gènes présents dans la séquence d’ADN. Ces CNV peuvent modifier l’expression des gènes, soit l’augmenter en cas de duplication ou la réduire en cas de délétion. 

Certains changements dans l'expression génique sont associés à des effets sur les capacités cognitives. Par exemple, des délétions de gènes dont l’expression est particulièrement forte dans les structures sous-corticales du cerveau sont accompagnées d’effets négatifs marqués sur les fonctions cognitives, par opposition aux duplications, qui semblent avoir des conséquences plus importantes lorsqu'elles concernent des gènes du cortex. De plus, les résultats de l’étude permettent de constater que certaines duplications ont un effet protecteur contre les troubles neurodégénératifs. «Nous avons observé la première duplication génétique qui pourrait prévenir le déclin cognitif», explique Guillaume Huguet, associé de recherche au laboratoire du Dr Jacquemont. Effectivement, des membres âgés de la cohorte qui avaient ces duplications montraient un déclin cognitif plus faible que les autres du même âge.

Des liens inédits avec des organes non cérébraux

Un des aspects novateurs de l’étude est l’analyse des organes autres que le cerveau. Les chercheurs ont ainsi observé que les CNV des gènes exprimés dans d’autres organes, à priori indépendants du cerveau, influencent aussi les fonctions cognitives. Cette étude offre une démonstration particulièrement convaincante de l’effet des CNV à travers plusieurs organes, qui permettrait d’expliquer les comorbidités (non cérébrales) relevées chez les patients atteints de déficience intellectuelle.  

Grâce aux cartographies de l’ADN réalisées, ces découvertes ouvrent la porte à une compréhension plus large de la manière dont les altérations génétiques touchant différents organes interagissent avec les fonctions cérébrales et elles illustrent l’importance d’adopter une approche globale dans l’étude des troubles cognitifs ou du neurodéveloppement dans la population générale.

De nouvelles perspectives en médecine cognitive et neurodéveloppementale

Cette étude marque un tournant dans notre compréhension des bases génétiques des capacités cognitives et des troubles neurodéveloppementaux. Des équipes spécialisées pourront utiliser les «cartes» dans des recherches ultérieures. Les résultats de ces travaux tracent ainsi de nouvelles pistes pour le diagnostic précoce, le traitement personnalisé et la gestion des risques. En associant génétique et compréhension des interactions biologiques complexes entre le cerveau et d'autres organes, cette recherche pourrait transformer la manière dont nous abordons les troubles cognitifs, offrant ainsi des perspectives de prévention et de traitement innovantes pour améliorer la qualité de vie des patients. Elle donne également une nouvelle vision de la cognition, qui est issue du fonctionnement non seulement du cerveau, mais aussi de l’ensemble du corps, à l’image d’un écosystème. 
 
Sur le plan des soins, une des ambitions majeures de cette recherche est de permettre aux cliniciennes et cliniciens de mieux comprendre les risques associés aux CNV et de personnaliser la prise en charge médicale en fonction des profils génétiques des individus. Par exemple, un outil de prédiction conçu par l'équipe permet d’évaluer les conséquences des duplications et des délétions sur le quotient intellectuel et sur des troubles du neurodéveloppement comme l'autisme. «Le personnel clinicien pourra mieux orienter ses diagnostics en utilisant des données génétiques comme point de départ», indique Guillaume Huguet. En repérant les CNV dits «à risque», les médecins pourraient être en mesure de prévoir leurs répercussions et de proposer un suivi et des interventions mieux ciblés. 

Ainsi, pour une délétion génétique dont on estime la forte incidence sur la cognition chez un enfant en bas âge examiné pour un retard moteur, l’équipe médicale pourrait apporter un soutien approprié bien avant l’apparition des symptômes cognitifs. Cette approche proactive atténuerait les effets à long terme des troubles neurodéveloppementaux. 

Bien que beaucoup reste à faire pour valider ces découvertes et les appliquer en clinique, les avancées réalisées par cette équipe ouvrent des avenues prometteuses pour l’avenir de la médecine personnalisée en neurologie. Grâce aux cartes détaillées des divers effets des variations de segments d’ADN, l’étude montre le chemin à suivre pour d’autres recherches.

À propos de cette étude

L’article «Effects of gene dosage on cognitive ability: A function-based association study across brain and non-brain processes», par Guillaume Huguet et ses collaborateurs, a été publié le 11 décembre 2024 dans Cell Genomics.

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