«J’ai toujours été fasciné par le ciel»
- Salle de presse
Le 19 mars 2025
- Jeff Heinrich
Lauréat du prix Killam 2025 en sciences naturelles, l’astrophysicien de l’UdeM René Doyon revient sur son amour indéfectible pour l’exploration de l’Univers, au-delà de la Terre et du système solaire.
Enfant dans une petite ville du Québec des années 1960 et 1970, cinquième d’une fratrie de six et fils d’un directeur d’école et d’une mère au foyer, René Doyon avait une passion solitaire: observer le ciel. Le ballet du soleil et des nuages le jour, celui de la lune et des étoiles la nuit l’émerveillaient des heures durant. Ce passe-temps allait, au fil des ans, se transformer en véritable vocation scientifique.
«J’ai toujours été fasciné par le ciel», confie celui qui est aujourd’hui professeur de physique à l’Université de Montréal, directeur de l’Observatoire du Mont-Mégantic et de l’Institut Trottier de recherche sur les exoplanètes (IREx), scientifique de mission pour l’Agence spatiale canadienne et la NASA et expert internationalement reconnu en instrumentation astronomique.
Bien avant ces titres prestigieux – et avant même l’honneur qui lui est rendu aujourd’hui avec le prix Killam en sciences naturelles –, il y a eu les années formatrices à Thetford Mines, alors capitale mondiale de l’amiante. La ville a vu naître de futurs hockeyeurs, artistes, journalistes et politiciens qui, comme lui, allaient marquer leur domaine.
Si pour certains, le ciel représentait une limite, pour René Doyon, il n’était que le début d’un voyage.
«Thetford Mines est une petite ville où l’on peut vraiment voir le ciel la nuit. Un hiver, je me souviens qu'il y avait eu des draperies lumineuses dans le ciel: c’était une aurore boréale. Fascinant! Tellement que j’ai économisé pour m’acheter un télescope Tasco et je suis devenu astronome amateur. J’allais dehors observer les planètes, explorer ce que je pouvais découvrir», se remémore-t-il.
Au cégep, un professeur de philosophie lui ouvre une nouvelle perspective: les mystères de l’Univers peuvent être percés grâce aux mathématiques et à la physique. C’est ainsi qu’il embrasse la quête scientifique à la manière de Newton et d’Einstein avec l’espoir – qui sait? – d’un jour révéler les secrets de la vie au-delà de la Terre.
Un parcours tracé vers les étoiles
«Dès le cégep, j’ai su que l’astronomie était ma voie. C’est une chance incroyable de l’avoir découvert si tôt. Ensuite, à l’Université de Montréal, j’ai commencé des études en physique. J’ai travaillé fort, obtenu d’excellentes notes et compris que j’en étais capable. Je n’ai jamais regardé en arrière», raconte-t-il.
Aujourd’hui, il rejoint quatre autres chercheurs canadiens en sciences humaines, sciences sociales, sciences de la santé et génie qui recevront un prix Killam, d’une valeur de 100 000 $, de l'organisation philanthropique Les Fiducies Killam.
À l'Université, le parcours de René Doyon débute au début des années 1980, à l’aube d’une révolution technologique majeure en astronomie: l’ère du numérique.
«Avant, l’astronomie reposait sur des plaques photographiques, se souvient-il. Les détecteurs électroniques ont tout remplacé et, comme ils étaient d’un ordre de grandeur plus sensible, ils ont véritablement révolutionné l’astronomie optique. Mais l’astronomie infrarouge, qui m’attirait particulièrement, était un tout autre domaine et elle ne faisait que commencer à émerger – au Québec, à l’UdeM et à l’Observatoire du Mont-Mégantic.»
Sous la supervision du professeur de physique Daniel Nadeau, René Doyon effectue un stage de recherche en instrumentation infrarouge à l’Observatoire du Mont-Mégantic. Il poursuit cette spécialisation à la maîtrise sous la direction du professeur Nadeau. Pendant cette période, il fait la rencontre de Nicole St-Louis, une collègue en physique. Leur relation les amène à envisager ensemble la poursuite de leur doctorat à l’étranger.
C’est finalement à Londres qu’ils posent leurs valises. De 1988 à 1990 – alors qu’une autre révolution se déroule, cette fois sur le plan politique, avec la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide –, René Doyon étudie l’astronomie extragalactique en infrarouge à l’Imperial College London, tandis que Nicole St-Louis se spécialise dans l’étude des étoiles massives en astronomie ultraviolette à la University College London.
Durant ces deux années, il multiplie les séjours dans des observatoires aux quatre coins du monde – en Afrique du Sud, en Australie et à Hawaii, «où le ciel est magnifique», dit-il. Il développe ses compétences en astronomie infrarouge et, en 1991, revient à Montréal avec Nicole St-Louis.
De retour à l’UdeM, le couple entame des recherches postdoctorales. Trois ans plus tard, grâce à un programme fédéral hautement compétitif visant à favoriser l’embauche de femmes dans les universités canadiennes, Nicole St-Louis obtient un poste de professeure boursière. René Doyon, quant à lui, continue ses travaux comme chercheur associé sous la direction de son mentor, Daniel Nadeau. À l’Observatoire du Mont-Mégantic, il contribue à la mise au point de l’instrument MONICA (Montreal Infrared Camera), une première en technologie infrarouge au Canada.
D’autres instruments suivent pour divers télescopes, et la forte demande pour ces nouvelles technologies le conduit à une situation inédite. «Je me suis retrouvé à pratiquement autofinancer mon salaire en répondant à cette demande, relate-t-il. C’était un parcours très inhabituel en milieu universitaire: je restais chercheur associé, j’encadrais des étudiants et étudiantes, mais sans être professeur moi-même.»
Il lui faudra patienter une quinzaine d’années – jusqu’en 2007 – avant d’obtenir un poste de professeur à l’Université de Montréal. Entretemps, la découverte des premières exoplanètes dans les années 1990 par des astronomes utilisant des techniques de mesure indirectes le pousse à réorienter ses recherches vers ce nouveau champ d’études.
«La première détection d’une exoplanète a eu lieu en 1995 et ç’a été le déclencheur qui m’a convaincu de complètement changer mon domaine de recherche», affirme-t-il.
Il poursuit: «J’ai commencé à rêver d’imager directement des exoplanètes. Cela signifiait mettre en place un programme d’imagerie infrarouge à haut contraste au Département de physique en collaboration avec mes mentors Daniel Nadeau et René Racine, alors directeur de l’Observatoire du Mont-Mégantic. Nous avons cosupervisé des étudiantes et des étudiants pour nous aider dans cette recherche et planifier les prochaines étapes.»
Un tournant décisif
Le grand tournant dans la carrière de René Doyon survient en novembre 2001.
«J’ai reçu un appel de l’astronome Marcia Rieke, de l’Université de l’Arizona. Elle m’a dit qu’avec ses collègues elle mettait au point une caméra infrarouge pour un télescope spatial de nouvelle génération – qui deviendra le télescope spatial James-Webb [JWST]. Elle voulait que je me joigne à eux et que je conçoive certains composants de la caméra, explique-t-il. Je lui ai répondu que je n’avais jamais fabriqué d’instruments pour un usage dans l’espace. Elle m’a dit de ne pas m’en faire. Je lui ai ensuite demandé quand le télescope allait être lancé et elle m'a répondu en 2008. J’ai dit que c’était loin sans me douter qu’il faudrait attendre jusqu’en 2021! Mais j’ai accepté et c’est ainsi que mon travail sur le JWST a commencé.» Il continue d’ailleurs aujourd’hui.
À l’Agence spatiale canadienne, l’astronome John Hutchings, vétéran du Conseil national de recherches Canada, dirigeait la conception d’un capteur de guidage de précision (FGS) permettant au télescope de pointer les objets avec précision. Il confie à René Doyon la conception de son module scientifique: l’imageur à filtre ajustable (TFI). Fixé au FGS, cet instrument devait entre autres capturer des images et des données spectroscopiques d’exoplanètes voisines, de naines brunes et d’étoiles.
Ce travail d’envergure ouvre également la porte à une promotion pour René Doyon à l’UdeM: en 2007, il est nommé professeur.
«Être professeur m’a donné accès à de nombreuses ressources dont je ne disposais pas auparavant, notamment des subventions, mentionne-t-il. C’est d’ailleurs la première chose que j’ai faite: j’ai déposé plusieurs demandes – avec beaucoup de succès. Cela m’a permis de mener deux vies en parallèle: ma vie avec le JWST et ma vie consacrée à la conception d’instruments sophistiqués pour une utilisation sur Terre.»
Une reconnaissance inattendue
Habitué aux distinctions – en 2023, la NASA lui a décerné sa médaille pour service public exceptionnel, récompense qui s’est ajoutée à plusieurs autres prix reçus au Canada et au Québec –, René Doyon est néanmoins surpris lorsqu’on lui annonce qu’il recevra le prix Killam. Cette prestigieuse distinction est attribuée à des chercheuses et chercheurs canadiens actifs qui se sont démarqués par l’excellence soutenue de leurs travaux et leur portée significative dans leur domaine.
Parmi les lauréats en sciences naturelles à l’UdeM figurent notamment Yoshua Bengio et Gilles Brassard.
«Je me suis d’abord dit que je n’étais pas au même niveau que ces chercheurs, confie René Doyon. Mais ce prix ne récompense pas seulement mon travail et son influence, il reconnaît aussi l’effort collectif de mon équipe. Je n’ai pas accompli cela tout seul.»
Le parcours n’a pourtant pas été sans embûches – et elles ont été de taille. Après presque une décennie de travail sur le TFI du télescope, des difficultés techniques majeures émergent. Pendant deux ans, le chercheur et son équipe redoublent d’efforts pour concevoir un nouvel instrument aux capacités améliorées, notamment pour l’étude des atmosphères exoplanétaires.
En juin 2011, il présente la version remaniée de l’instrument – baptisé spectrographe imageur sans fente dans le proche infrarouge (NIRISS) – au groupe de travail chargé des orientations scientifiques du JWST. Craignant que son programme soit annulé, il joue son va-tout.
«J’ai pris ces gens par surprise avec ce nouveau plan, raconte-t-il. Je le leur ai présenté pendant une heure et demie et, à la fin, ils ont soumis le projet au vote – une première. Et nous avons obtenu le feu vert. Finalement, c’était une chance pour tout le monde. Le NIRISS s’est révélé supérieur à l’instrument initial et permettait d’étudier les atmosphères des exoplanètes et bien plus encore. C’est ainsi qu’il est devenu un instrument clé du JWST.»
Bâtir une communauté de recherche
En parallèle, René Doyon poursuit un autre objectif: rassembler les chercheuses et chercheurs québécois spécialisés dans l’étude des exoplanètes. En 2014, il fonde l’Institut de recherche sur les exoplanètes, dont le nom changera huit ans plus tard (Institut Trottier de recherche sur les exoplanètes). Situé sur le campus MIL de l’Université de Montréal, l’Institut coordonne les travaux de 60 scientifiques de l’UdeM, des universités McGill, Laval et Bishop’s et d’Espace pour la vie Montréal.
«Notre mission est de faire avancer la recherche, notre vision est d’explorer de nouveaux mondes et de découvrir de la vie ailleurs dans l’Univers. Mais il est tout aussi important de partager nos connaissances avec le public, des adultes aux tout-petits», souligne-t-il.
Père de famille – aujourd’hui divorcé, il a eu deux fils et une fille avec Nicole St-Louis –, il sait qu’en entamant sa 63e année il doit désormais se concentrer sur ce qu’il peut encore accomplir au cours de la prochaine décennie, probablement la dernière de sa carrière.
Lorsqu’il ne travaille pas, il aime bricoler au chalet, rattraper son retard en lecture (L’anarchisme expliqué à mon père, du politologue québécois Francis Dupuis-Déri, Thinking, Fast and Slow, du psychologue Daniel Kahneman), jouer au tennis, encourager les Canadiens de Montréal et assister aux concerts de l’Orchestre symphonique de Montréal. Mais son regard reste tourné vers le ciel.
«Mon rêve est de découvrir de la vie ailleurs – je suis convaincu qu’elle existe. Je ne serai sans doute pas celui qui la trouvera, et bien sûr, ce ne sera pas l’œuvre d’une seule personne, mais bien d’une équipe qui comprendra je l’espère des chercheurs et des chercheuses de l’IREx.
«Grâce au JWST, nous pouvons détecter des atmosphères autour d’exoplanètes tempérées. La prochaine grande étape sera celle de l’Extremely Large Telescope, au Chili. Avec nos collègues européens, nous élaborons un instrument qui nous permettra d’analyser l’atmosphère de la planète habitable la plus proche, située à seulement quatre années-lumière de la Terre, afin d’y repérer d’éventuelles biosignatures. Nous aurons la réponse d’ici une décennie, indique-t-il.
«Mais c’est là mon dilemme. Pour reprendre les mots de l’astrophysicien Hubert Reeves: Je n’aurai pas le temps. J’ai beau essayer, je n’aurai tout simplement pas le temps de tout accomplir ni de tout découvrir.»
Un climat incertain
Un nouveau défi se présente aujourd’hui: la présidence américaine de Donald Trump. Entre les compressions budgétaires dans les sciences, l’annulation de programmes et le limogeage de chercheuses et chercheurs chevronnés à la NASA pour des raisons partisanes, le climat d’incertitude ne favorise guère les collaborations internationales à long terme avec les États-Unis.
René Doyon s’efforce pourtant de garder espoir.
«Les signaux sont très inquiétants – et cela me préoccupe beaucoup. En tant que scientifiques, nous essayons de nous tenir à l’écart des querelles politiques, mais c’est très difficile, car tout est lié, dit-il. Chaque jour apporte son lot de surprises en provenance de nos voisins du Sud.»
Pour quelqu’un qui a consacré sa vie à observer le ciel, il est troublant de constater à quel point les nouvelles venant de la Terre sont sombres.
«Ce qui nous a permis de réussir et de nous renforcer scientifiquement, c’est notre collaboration étroite, rappelle René Doyon. Les États-Unis, le Canada et l’Europe ont fait du JWST un projet commun – probablement la machine la plus complexe jamais construite. La guerre économique actuelle va à l’encontre de cet esprit de collaboration qui a fait le succès de James-Webb. Pour l’économie comme pour la science, l’isolement et l’affrontement ne sont pas la solution. Espérons que, comme la pandémie, tout cela ne sera plus bientôt qu’un mauvais souvenir.»
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