Des GML pour mieux comprendre le diagnostic de l'autisme
- Salle de presse
Le 26 mars 2025
- UdeMNouvelles
Utilisant l’IA pour analyser les dossiers médicaux d’un millier d’enfants québécois francophones, une équipe canadienne soutient que les critères de diagnostic de l'autisme ont besoin d'être révisés.
Dans le diagnostic de l'autisme – ce trouble neurodéveloppemental qui touche autour de 80 millions de personnes à travers le monde –, les professionnels de la santé accordent aujourd'hui trop d'importance au manque de sociabilité de l'enfant et pas assez à ses centres d’intérêt et à son comportement spontané avec les objets, selon une nouvelle étude d’une équipe de neuroscientifiques canadiens.
Ainsi, pour obtenir des évaluations plus précises, les autorités médicales devraient commencer à exploiter les vastes capacités d'analyse de l'intelligence artificielle (IA), combinées avec l’expérience des cliniciens, et ainsi établir de meilleurs critères diagnostiques, affirment les chercheurs de l'Université de Montréal et de l'Université McGill.
Leur étude est publiée aujourd'hui dans la revue Cell.
«Une révision des critères de l'autisme fondée sur les données, comme celle que nous proposons, et ancrée dans la certitude clinique viendrait compléter ce qui a historiquement été fait par des groupes de spécialistes et le jugement humain, qui peut être faillible», explique le coauteur principal Laurent Mottron, chercheur clinicien en psychiatrie à l'UdeM.
«Ce projet marque l'aboutissement réussi d'un partenariat fructueux entre l’Université McGill et l'Université de Montréal. Nous espérons que nos résultats contribueront de manière significative à l'avancement du diagnostic et du soutien pour la communauté autiste», ajoute le premier coauteur Emmett Rabot, professeur adjoint de clinique en psychiatrie à l'UdeM.
L’équipe de recherche était aussi constituée de Danilo Bzdok, Jack Stanley, Siva Reddy et Eugene Belilovsky, tous chercheurs à Mila, l’Institut québécois d'intelligence artificielle, affilié à l'Université de Montréal et à l’Université McGill. Jack Stanley et Danilo Bzdok sont également rattachés au Neuro, l’Institut-hôpital neurologique de Montréal, affilié à l’Université McGill.
Le DSM-5, la référence
En l'absence de marqueurs spécifiques de l’autisme dans les gènes, le sang ou le cerveau, le diagnostic de l'autisme repose encore largement sur l'évaluation clinique par les médecins et leurs équipes d'évaluation.
La méthode standard consiste à observer comment les critères de l'autisme énumérés dans les ouvrages de référence comme le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, cinquième édition (DSM-5), ainsi que ceux établis par les instruments standardisés qui s'appuient sur le DSM, s’appliquent à un enfant.
Ces critères sont divisés en deux catégories: l'une pour les différences dans la communication et l'interaction sociale de l'enfant, l'autre pour ses activités ou comportements restreints ou répétitifs.
Finalement, ce sont toutefois les cliniciens, s'appuyant sur des années d'expérience, qui posent un diagnostic – et leur prise en considération des critères du DSM-5 peut grandement varier.
Pour tester empiriquement les critères les plus souvent observés par les cliniciens dans les cas d’autisme diagnostiqués, l’équipe de recherche a soumis plus de 4200 rapports cliniques d'observation – provenant d'une cohorte francophone de plus de 1000 enfants montréalais qu’on soupçonnait de présenter un trouble du spectre de l’autisme – à une analyse au moyen de l’intelligence artificielle.
L’équipe a adapté des approches de modélisation du langage naturel – ce qu'on appelle les grands modèles de langage ou GML – pour prédire la décision diagnostique dans chaque cas sur la seule base de ces rapports. Les chercheurs ont notamment conçu une méthode pour repérer les phrases clés des rapports associées à un diagnostic positif.
Cela leur a permis d'effectuer une comparaison directe avec les critères diagnostiques venant des États-Unis et acceptés partout dans le monde – avec des résultats surprenants.
Ils ont constaté que les critères liés à la socialisation – la réciprocité émotionnelle, la communication non verbale et le développement des relations – n'étaient pas hautement spécifiques du diagnostic d'autisme. En d'autres termes, ces critères n'étaient pas beaucoup plus présents chez les enfants autistes que chez ceux pour qui un diagnostic d’autisme avait été écarté.
Les critères liés aux comportements répétitifs, aux centres d’intérêt très précis et aux comportements basés sur la perception étaient, en revanche, fortement associés à un diagnostic d'autisme.
Reconsidérer et revoir les critères
Ces découvertes ont amené les chercheurs à soutenir que la communauté médicale devrait reconsidérer et revoir les critères utilisés pour diagnostiquer l'autisme – les critères actuels semblant à la fois inadéquats et responsables d’un surdiagnostic de l’autisme largement attesté dans le monde.
Plus précisément, les professionnels de la santé devraient accorder beaucoup moins d'importance au manque d'habiletés sociales de l'enfant, une pondération qui est mise de l'avant depuis des décennies, déclarent les auteurs. Les défis de socialisation sont courants chez les enfants autistes, mais d'autres signes atypiques beaucoup plus facilement détectables avec certitude caractérisent ces enfants, soulignent-ils.
Il faudrait accorder une attention accrue aux comportements répétitifs et perceptifs des enfants ainsi qu'à leurs champs d’intérêt particuliers, ajoutent-ils, car ces éléments pourraient être plus spécifiques de l'autisme qu'on le pensait auparavant.
Recevoir un diagnostic d'autisme peut prendre des années, retardant les interventions qui améliorent la qualité de vie. À l’inverse, le porter quand il n’est pas justifié amène tout un lot de mauvaises décisions. L'amélioration du processus d'évaluation comporterait d'immenses avantages pour les personnes autistes et le système de santé, disent les chercheurs.
«À l'avenir, les technologies de modélisation du langage naturel pourraient s'avérer essentielles pour reconsidérer ce que nous appelons aujourd'hui l'autisme», conclut Danilo Bzdok, l’un des auteurs principaux de l'étude.
À propos de cette étude
L’article «Large language models deconstruct the clinical intuition behind diagnosing autism», par Jack Stanley, Emmett Rabot, Eugene Belilovsky, Siva Reddy, Laurent Mottron et Danilo Bzdok, a été publié le 26 mars 2025 dans la revue Cell.
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